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Vingt-cinq brigades d'attaque

Texte : Capitaine Marine Degrandy et Anne-Claire Pérédo

Publié le : 07/05/2025.

En 2023, l’armée de Terre a amorcé sa transformation « Vers une armée de Terre de combat ». Face aux enjeux stratégiques et grâce aux ressources prévues par la loi de programmation militaire 2024-2030, elle vise à accroître l’efficacité opérationnelle des forces terrestres face à la nouvelle conflictualité, en favorisant l’esprit d’initiative, la responsabilisation et en développant la réactivité et la puissance de combat.
Cette transformation s’articule autour de trois axes : modernisation des équipements, refonte de l’organisation et adaptation du fonctionnement. Dans ce cadre qui encourage la subsidiarité, c’est le niveau brigade qui représente la brique élémentaire du système de combat et est redevable de ses objectifs de préparation opérationnelle et non plus les régiments directement.
À la tête de chacun des 25 commandements de brigade, un général assure désormais la cohérence entre l’opérationnel et l’organique. Les capacités offertes par la diversité des brigades complémentaires font ainsi la force de l’armée de Terre. En se coordonnant avec les divisions et les commandements Alpha créés en 2023, les brigades assurent l’efficacité opérationnelle des forces terrestres du territoire national jusqu’aux théâtres d’engagement extérieurs.

En ordre de brigade

Le modèle ≪ armée de Terre de combat ≫ comprend vingt-cinq commandements de niveau brigade : sept brigades interarmes, sept brigades spécialisées et onze entités d’appui ou de soutien. Plus autonomes, plus réactives et efficaces, elles constituent un écosystème varie de capacités. Elles se définissent comme l’unité tactique de base et la clef de voute du modèle opérationnel de l’armée de Terre.

Cette métamorphose, la plus importante depuis la fin de la conscription, est menée sur fond d’instabilité géopolitique. Est de l’Europe, Proche-Orient, Asie… L’environnement international dans lequel opèrent les forces subit des transformations, parfois brutales et consacrant le retour assumé du rapport de forces entre États. Cela induit pour l’armée française le risque d’un affrontement non choisi. 

Face à ce risque, l’armée de Terre opère sa transformation en suivant 3 lignes d’opérations selon le général de corps d’armée Jean-Christophe Béchon, major général de l’armée de Terre: « Accroître notre réactivité pour être capable d’affronter sans délais toutes formes de menaces dont la contestation de notre souveraineté […] ; augmenter notre puissance de combat […] ; développer notre agilité pour mieux fonctionner en libérant l’initiative bridée par un système trop centralisé ». 

Aussi, l’architecture de l’armée de Terre a été repensée pour faire converger structures organisationnelles et finalités opérationnelles. Elle repose aujourd’hui sur quatre piliers : soutien humain et matériel « être et durer », activités opérationnelles « agir » et « protéger », et préparation de l’avenir « innover ». L’enjeu : être prêt dès ce soir au cœur (territoire national), au près en Europe et au loin (Afrique, Indopacifique, Moyen-Orient).

Se préparer et s’entraîner

Autre nouveauté, la sectorisation des brigades interarmes (BIA) qui procède de la même logique que la régionalisation des divisions, mais sur un rythme différent. Si les deux divisions sont régionalisées sur un mandat de trois ans et alternent entre zone Monde et zone Europe, chaque brigade agit dans un secteur géographique qui lui est propre pendant un an. 

Cette responsabilisation sur une zone permet de suivre les dynamiques régionales, en coordination avec le Centre de renseignement Terre (CRT), d’animer les relations avec les forces des pays de la zone en question pour nouer des partenariats durables, et d’armer les alertes dans des délais réduits. Ainsi, la brigade se prépare et s’entraîne en fonction du milieu dans lequel elle peut être amenée à intervenir en urgence. 

Au-delà de la connaissance approfondie de l’environnement, ce système permet de marquer des efforts au bénéfice de l’entraînement, en concentrant des ressources sur certaines unités plutôt que de les diviser entre toutes de manière permanente. Sept autres brigades dites spécialisées 4 complètent ce dispositif. Leur rôle ? Appuyer et soutenir les divisions en facilitant l’engagement des BIA sur le champ de bataille. 

Elles sont réparties dans 4 commandements : Commandement des actions spéciales Terre, Commandement de l’appui et du renseignement de la profondeur, Commandement de l’appui terrestre et du renseignement de la profondeur, Commandement de l'appui terrestre, numérique et cyber, Commandement de l’appui et de la logistique de théâtre. Elles décuplent leur liberté d’action (brigade du génie ou brigade logistique) et leur puissance de feu (brigade d’artillerie ou brigade d’aérocombat). Pour le général Nicolas Filser, commandant la brigade logistique : « Elles proposent à la division des solutions de soutien répondant au besoin exprimé ». De la “haute couture” pour un engagement de haute intensité. 

Prête dès ce soir

Le concept de brigade “bonne de guerre” est très concret. Il exprime la détermination à déployer une brigade interarmes prête au combat, car élevée aux standards les plus exigeants dans sa préparation opérationnelle, dans ses capacités et ses ressources humaines. Sectorisée dans la zone Europe, elle est aujourd’hui incarnée par la 7e brigade blindée, relevée à l’été 2025 par la 2e brigade blindée. Le général Philippe Le Carff, commandant la 7, témoigne de ce que signifie cet effort pour sa brigade, sera généralisé progressivement aux autres brigades.

Qu’est-ce qu’une brigade“bonne de guerre” ? Le général Philippe Le Carff commandant la 7e brigade blindée, la “bonne de guerre”, donne la réponse : ≪ C’est la brigade prête à s’engager sous dix jours comme système d’armes sur le flanc Est de l’Europe  ». Elle bénéficie de l’ensemble des efforts de l’armée de Terre pour être au meilleur standard possible en termes d’équipements et de préparation opérationnelle. 

Travaillant de concert avec la Section technique de l’armée de Terre, ≪ elle est associée aux réflexions et expériences en cours pour tester et développer de nouveaux concepts et matériels. Parallèlement, elle génère ses propres innovations tactiques et techniques ». Elle expérimente l’utilisation des drones d’attaque, intègre la guerre électronique et améliore la furtivité et la mobilité de ses postes de commandement, cibles de choix.

L’objectif : être moins exposé aux yeux et aux coups de l’ennemi. La 7e BB a également renforcé les capacités de son groupe commando blindé et débuté la montée en puissance de son centre d’entraînement tactique drones. « L’ autonomisation des brigades donne les leviers qui, en faisant converger dans leurs mains, domaines organiques et opérationnels, leur permettent de se préparer et d’innover au rythme des changements. »

Changement d'échelle

Alors qu’est-ce qui change ? Pendant les trente dernières années, les déploiements étaient axés autour de sous-groupements tactiques interarmes ou de groupements tactiques interarmes. « On ne déployait que de petits volumes de troupes, éclatés sur différents théâtres. La brigade était alors un pourvoyeur de moyens. Aujourd’hui, elle se prépare à être déployée comme système de combat. Elle forme un tout. » 

Au regard de son histoire et de sa spécificité, la 7e BB a facilement endossé le concept de “bonne de guerre”. Créée en 1955 en vue du combat à l’ère atomique, elle disposait d’une capacité de feux et de manœuvre inégalée avec les EBR et AMX 13 dont elle fut la première dotée. D’emblée, elle fait partie des unités engagées en Algérie et lors de l’expédition de Suez. « C’est cet ADN qui a permis à la 7e brigade blindée de s’approprier sans difficulté le concept de brigade "bonne de guerre". » 

Aujourd’hui, à l’heure où l’engagement dès ce soir devient possible face à un ennemi à parité, le segment blindé constitue l’une des réponses adaptées à la conflictualité actuelle. « Disposant d’une capacité de feu accrue et prêt à encaisser les coups dans la durée, il reste le mieux protégé et le plus létal sur la ligne des contacts ». Agile, manoeuvrière et brutale, la 7e BB est un outil de combat affûté au service de la France.

Dernière génération

“Bonne de guerre”, et après ? D’ici à l’été prochain, la 2e brigade blindée prendra le relais pour un an. À la rentrée, la bascule des missions de la 7 se fera ainsi sur la zone du Golfe persique avec notamment la formation du partenaire irakien. Pour les deux brigades blindées, l’engagement est continu. Leur programmation en 2027 est déjà toute tracée : armer une division “bonne de guerre” capable de projeter deux brigades. 

Puis, en 2030 il s’agira de tester la projection d’un corps “bon de guerre”, avec ses éléments organiques d’appui et de soutien. Désigner la 7 et la 2 comme “bonnes de guerre”, relève du besoin du moment. L’armée de Terre n’engage pas seulement ses troupes au profit de l’Otan. Elle met sur la table son professionnalisme, ses compétences tactiques et ses matériels de dernière génération. Cela témoigne de la solidarité stratégique de la France à l’égard de ses alliés européens et de sa détermination face à ses compétiteurs.

 

Cherche, cible et frappe

En 2024, la brigade d’artillerie s’impose à nouveau comme une évidence. Elle a pour mission de délivrer des feux précis, vite et loin sur l’ennemi, tout en se coordonnant avec ses partenaires. Le général Marc Galan, chef de la brigade d’artillerie, témoigne de la montée en puissance de cette jeune brigade et des défis à venir.

Place Joffre, Lyon, été 2024. La 19e brigade d’artillerie est recréée après avoir été mise en sommeil pendant trente ans. Placée sous l’autorité du commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), elle a pour mission de délivrer des effets tactiques “massifs”, létaux et rapides. 

Sur les champs de bataille de demain, les échanges avec les autres unités de ce commandement seront fluidifiés pour accélérer la prise de décision et optimiser l’efficacité des feux. Dans un futur proche la brigade aura développé une capacité à neutraliser jusqu’à une profondeur de 500 km des cibles à haute valeur ajoutée : poste de commandement, acheminement logistique, artillerie… 

Le but est d’affaiblir l’ennemi pour faciliter l’engagement des unités amies au contact. Pour cela, elle poursuit sa montée en puissance permise par la loi de programmation militaire 2024-2030 qui prévoit une montée en gamme du système de drone tactique (SDT Patroller), une augmentation des parcs d’artillerie (Caesar) et le renou vellement des capacités de feux dans la profondeur.

Le saviez-vous ?

En plus de la 19e brigade d'artillerie, le CAPR se compose de la 4e brigade d’aérocombat et la brigade de renseignement et de cyber électronique.

Puissance de feu

La brigade d’artillerie compte un effectif de trois mille soldats. Un format ramassé, pour un large panel de missions. « La particularité de la brigade réside dans son engagement en format métiers : quand les unités sont engagées dans les missions courantes ou en Opex, elles le sont souvent avec leurs matériels d’emploi et en auto-relève », déclare le général Marc Galan. Cette concentration des moyens et des compétences est un gage de plus grande efficacité. 

La brigade regroupe un état-major situé à la Valbonne, trois régiments et l’École des drones. Le 1er régiment d’artillerie est le seul spécialisé dans les frappes de précision longue portée. Il est l’unique détenteur des lance-roquettes unitaires, appelés à être remplacés dans les prochaines années, et dispose des capacités d’acquisition contre-batterie, grâce au radar Cobra. 

Le 54e régiment d’artillerie est spécialisé dans la défense sol-air et la coordination dans la troisième dimension (espace aérien). Le 61e régiment d’artillerie, régiment de drones tactiques de l’armée de Terre, est expert de l’exploitation du renseignement d’origine image. Quant à l’École des drones, centre d’expertise et de formation des pilotes et des instructeurs drones, elle a été inaugurée à l’été 2023.

Plus rapide et plus précis

La Brigade a reçu pour mission d’armer un poste de commandement de format Multinational Field Artillery Brigade, constitué d’unités de différentes nationalités, pouvant être engagées sous mandat otanien. De nombreuses échéances sont prévues. « À l’été 2025, la brigade va être renforcée par deux officiers de liaison : un Britannique et un Suisse. Un autre devrait arriver l’année suivante, explique le général. Le contexte international inédit oblige un resserrement des liens avec les armées partenaires de l’Otan. » 

Elle a participé récemment à l’exercice Diodore aux côtés de la 4e brigade d’aérocombat et de la brigade de renseignement et cyber-électronique. Les enjeux étaient multiples : éprouver et valider le choix d’articulation opérationnelle pour mettre en oeuvre la boucle renseignement-acquisition-feu, expérimenter l’organisation d’une Task Force Deep et conduire des actions face à un ennemi symétrique. Les premiers enseignements sont concluants. 

Ils valident les concepts expérimentés pour raccourcir la boucle détection-feux et agir dans la profondeur du champ de bataille au profit des brigades de contact. Le défi de la brigade d’artillerie est à la hauteur de l’enjeu : créer, développer et fédérer autour d’un esprit brigade pour gagner en rapidité et en agilité dans l’exécution de la mission. Le général insiste : « Ma vision du brigadier à l’horizon 2030 vise à être prêts à engager des unités opérationnelles aguerries et soudées dans des opérations de grande ampleur au sein d’une coalition. »

Un soutien pour vaincre

Elles sont partout et de toutes les missions. Sans elles, le combattant se sentirait bien seul dans son trou de combat au milieu de nulle part, sans pouvoir « être et durer ». Il s’agit des brigades spécialisées, indispensables pour rendre possible la manoeuvre. Exemple avec la brigade logistique, créée récemment et commandée par le général Nicolas Filser. Elle planifie, exécute et contrôle les mouvements et les ravitaillements, en France comme en exercice et opération extérieure.

Avec ses 7 000 combattants, « la brigade assure l’acheminement et le ravitaillement d’une force interarmes tout en assurant la cohérence de la chaîne logistique du niveau opératif jusqu’au niveau tactique », explique le général Nicolas Filser, commandant cette unité dite B. LOG ayant tout juste un an d’existence. Sa mission est d’appuyer et de soutenir l’engagement en haute intensité et dans la durée d’une division de vingt mille soldats dans un délai de trente jours, et ce dès 2027. 

La B. LOG fait partie du commandement de l’appui et de la logistique de théâtre, chef d’orchestre de l’organisation logistique opérationnelle de l’armée de Terre. « Sa création garantit une  cohérence d’ensemble entre l’engagement opérationnel et la mobilisation des moyens humains et matériels. » 8 régiments composent cette brigade : 14e régiment d’infanterie et de soutien logistique parachutiste, 121e, 503e 515e, 516e et 519e régiments du train, régiment médical. Elle possède également son centre de formation initiale des militaires du rang (CFIM) et d’instruction élémentaire de conduite (CIEC). 

La brigade répartit ses efforts en 2 missions principales. La première concentre les sous-fonctions du soutien logistique, du ravitaillement-transport, du soutien du combattant, du soutien médical et de la maintenance. La seconde regroupe les appuis avec les unités de circulation et d’escorte et celles de transport de blindés, tandis que le 519e régiment du train est spécialisé dans l’appui à la projection par voie maritime.

« Une entité tactique »

Au quotidien, sur le territoire national comme en opération, elle participe à l’escorte de véhicules, au transport et à l’acheminement du ravitaillement par voie terrestre, ferrée, maritime. « Les régiments mettent en œuvre, mais c’est l’état-major de la brigade qui étudie, détermine et planifie les moyens. Cela procure une visibilité sur la faisabilité et la durée de l’engagement. » 

Pour cela, elle commande les unités avec lesquelles elle entretient une relation directe. En cas de crise, elle est en mesure de projeter des modules de soutien en renfort, comme récemment à Mayotte. « La B.LOG est capable d’aller au-delà des missions qui lui sont confiées et ce, sans préavis. Les logisticiens ont par exemple complété les équipes du port de Nouméa en Nouvelle Calédonie pour faciliter l’accueil d’un navire affrété et son déchargement », ajoute le général. En cas d’engagement majeur, elle serait déployée avec l’ensemble de ses unités tout en agrégeant d’autres spécialités. 

Pourquoi ? Parce qu’elle doit s’assurer que les unités au contact ne manquent de rien. À cet effet, elle intégrerait des sous-fonctions du soutien logistique comme « des régiments du matériel, des experts des munitions ou du soutien pétrolier. La brigade en haute intensité est une unité tactique qui obéit à un général commandant une division, en lui proposant les solutions du soutien de sa manœuvre ».

« Une fusée à trois étages »

La création de la brigade logistique simplifie les relations de commandement avec ses unités désormais subordonnées. Celles-ci sont plus directes avec les chefs de corps. Ce rapprochement n’est pas anodin, il contribue à forger un “esprit brigade” qui fait converger les unités et les chefs vers l’objectif commun de la division 27. 

Le brigadier détient ainsi une vision exhaustive des équipements et des moyens humains disponibles et disposera bientôt des mêmes leviers que les BIA, il lui sera alors aisé de faire des bascules d’effort RH en cas de nécessité. « La brigade est une fusée à trois étages, elle regroupe trois niveaux de formation : elle a sous ses ordres le CFIM où les soldats reçoivent leur formation initiale et le CIEC qui forme à la conduite de véhicules terrestres, dont les super poids lourds. Nous avons un regard continu sur les effectifs des unités et de leurs besoins en formation. »

 En plus des enjeux opérationnels qui lui sont confiés à l’horizon 2027, un bataillon de réserve spécialisé sera créé à l’été 2025. « Il participera d’abord à l’ensemble des missions sur le territoire national, et ensuite en opération extérieure. La réserve doit être le miroir de notre personnel d’active en possédant des compétences comparables », conclut le général.