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La nouvelle force opérationnelle terrestre de l’armée de Terre

Texte : Adjudant-chef Anthony Thomas-Trophime.

Publié le : 29/02/2024.

Dans un contexte stratégique international incertain où la confrontation entre les grands compétiteurs revient dans le triptyque compétition-contestation-affrontement, l’armée de Terre poursuit sa transformation pour se préparer aux combats futurs. En s’appuyant sur la LPM 2024-2030, elle accroît sa puissance afin de répondre aux exigences de la guerre moderne. Sa transformation se réalise selon quatre grands principes : être et durer, protéger, agir et innover. Ce dossier est consacré au volet “Agir”, autrement dit être capable de déployer une armée de Terre de nation-cadre prête, dès ce soir, à tous types d’engagements, de la gestion de crise au conflit majeur. Cette ambition passe par la capacité à engager une division à échéance 2027. À cet effet, la force opérationnelle terrestre (FOT) poursuit la modernisation de ses capacités, réorganise et simplifie sa structure, tout en développant un esprit tourné vers plus d’autonomie de ses unités. Par ailleurs, l’évolution de la FOT se traduit par la régionalisation des divisions et la sectorisation des brigades. La préparation opérationnelle et le dispositif d’alerte de “l’échelon national d’urgence” sont ainsi adaptés au contexte des hypothèses d’engagement les plus probables et les plus réalistes.

Le commandement de la force et des opérations terrestres

Anciennement commandement des forces terrestres devenu commandement de la force et des opérations terrestres en 2024, le CFOT incarne la finalité opérationnelle du volet “Agir” de la nouvelle organisation de l’armée de Terre. Pour répondre aux évolutions du contexte stratégique et se préparer à déployer une armée de Terre de nation-cadre, cette réorganisation commence par la mise en place d’une division de “haute intensité” à l’horizon 2027.

La force opérationnelle terrestre se transforme pour accroître sa réac­tivité et sa puissance afin d’être à la mesure des évolutions du contexte stratégique. À sa tête, le comman­dement de la force et des opérations terrestres (CFOT) poursuit la montée en gamme de l’en­traînement et se restructure pour relever les défis du combat moderne, caractérisés par l’hybridité et la profondeur opérative du champ de bataille. Chargé de la préparation et de l’emploi de la force, le CFOT a pour objectif d’amener les forces opérationnelles terrestres à générer une division dite de “haute intensi­té” déployable en 30 jours, dès 2027. 

Pour y parvenir, il s’appuie sur les commandements Alpha qui lui garantissent l’ascendant dans une nouvelle géographie du champ de bataille et sur le commandement Terre en Europe (CTE), créé le 16 octobre 2023. Ce dernier renforce la cohérence et la réacti­vité des déploiements, comme interlocuteur légitime de l’Alliance, de l’Union européenne et des pays partenaires. Son commandement des opérations est implanté au CFOT à Lille.

Le CTE exerce le contrôle opérationnel des unités Terre déployées en Europe et assure la logique de leur emploi, lorsqu’elles sont pla­cées sous l’autorité d’une organisation multi­nationale ou d’une coalition. Il contribue aussi à leur planification et à leur déploiement. Par ailleurs, il assure le suivi logistique et le sou­tien des forces déployées, tout en garantissant leur montée en puissance si l’Alliance atlan­tique ou la France venait à le décider. Enfin, le CTE assure en direction des Alliés et de l’Al­liance atlantique les contacts d’autorités et d’états-majors au niveau opératif (Joint Force Commands de Brunssum, Naples et Norfolk, US Army Europe, Commander Field Army UK…)

« Un signal stratégique fort »

La nouvelle posture opérationnelle Terre (régionalisation, sectorisation) permet au CFOT de déléguer certaines de ses tâches aux 2 divisions. « Cela rejoint l’idée du chef d’état-major de l’armée de Terre, où le chef donne la mission, s’assure que le subordonné ait bien compris son esprit, puis contrôle le résultat. C’est comme au combat. Ici, ce fonctionnement s’applique à tous les niveaux », ajoute le colonel Patrick, adjoint de la division performances du CFOT. Cependant, le dialogue entre les entités est essentiel, notamment sur les tra­vaux menés sur le nouveau système d’éche­lon national d’urgence

Si hier les unités d’alerte provenaient de France pour interve­nir, aujourd’hui, elles sont en partie pré-dé­ployées et installées dans nos zones d’intérêt (DROM/COM, Europe, Moyen-Orient, Paci­fique, Afrique). De par la régionalisation des divisions et la sectorisation des brigades, l’en­gagement opérationnel est adapté et armé par un dispositif plus robuste et réactif. Le Guépard contextualisé poursuit sa montée en puissance, au rythme du calen­drier fixé par la Loi de programmation mili­taire 2024-2030. 

« À terme, il pourra déployer 2 brigades complètes de 0 à 10 joursajoute le colonel Didier. Nous sommes l’une des seules armées à pouvoir le réaliser. C’est un signal stra­tégique fort envers nos compétiteurs. Quant à l’alerte sur le territoire national, elle évolue vers un nouveau concept d’emploi centré sur une approche “missionnelle” : ce système repose sur un maillage territorial et un dialogue civilo-militaire, au sein duquel chaque régiment disposera d’1 sec­tion capable d’intervenir de 0 à 6 heures. »

La régionalisation des divisions

Pour mieux cibler les scénarios d’engagement possibles et sa préparation opérationnelle, l’armée de Terre de combat adopte la régionalisation. Une logique qui donne aux divisions la responsabilité des contrats opérationnels propres à deux zones distinctes : Europe et Monde. Mandatées pour trois ans, la 1re et la 3e Division développent à la fois leur acculturation et leur expertise dans leur milieu respectif.

L’armée de Terre de combat réorganise sa force opération­nelle terrestre (FOT) pour agir dans 3 espaces stra­tégiques : le territoire natio­nal et l’outre-mer (protection, résilience, souveraineté et esprit de défense), l’Europe et le Moyen-Orient (solidarité stratégique) et l’Afrique et l’Indopacifique (prévention et influence). Avec la régionalisation de ses 2 divisions, la FOT est à la mesure des enjeux du nouveau centre de conflictualité décrit par le triptyque : compétition-contes­tation-affrontement

La Division Europe se voit confier les opérations en Europe com­prenant aussi le bassin méditerranéen et ses pays voisins. Compte tenu des enjeux sécu­ritaires sur le flanc Est, elle entretient des partenariats de combat avec les pays du B9, frontaliers avec la Russie. Dans le cadre de la solidarité stratégique, elle se prépare en par­ticipant à des entraînements conjoints, dans l’hypothèse d’un engagement majeur, avec des combats de haute intensité. 

Le saviez-vous ?

Le B9 rassemble la Bulgarie, la Tchéquie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie. Il a été établi à la suite de la première invasion russe de l'Ukraine en 2014.

La 3e divi­sion Division Monde, quant à elle, fait face à des sphères d’influence vastes et diversi­fiées. Dans son champ d’action : prévention et influence, elle s’appuie sur un maillage terri­torial conséquent, avec d’une part, les forces de souveraineté (forces armées aux Antilles, en Guyane, en Polynésie française, en Nou­velle-Calédonie et en zone Sud de l’Océan indien) et d’autre part, les forces de présence (éléments français au Sénégal, Gabon, Côte d’Ivoire, forces françaises aux Émirats arabes unis et à Djibouti).

« Les forces de présence sont des plateaux d’ai­guillage pour agir dans des parties du monde où nos intérêts sont importants comme dans le golfe de Guinée et l’Indopacifique. Pour cela nous renforçons les partenariats avec L’Inde, le Japon ou encore l’Australie », précise le général Guillot, chef de la division formation prépa­ration à l’engagement du commandement de la force et des opérations (CFOT).

Un gain de réactivité

Les divisions opèrent chacune dans leur région respective pour un contrat de 3 ans. Une durée qui leur permet de s’accultu­rer à leur environnement et de devenir des experts. « Nous développons des stratégies mili­taires opérationnelles permettant d’avoir une vision à long terme vis-à-vis de nos partenaires et de nos compétiteurs, dans un cadre éventuel de confrontation », explique le général Guil­lot. 

Les commandants divisionnaires tissent des liens opérationnels avec leurs homolo­gues étrangers pour renforcer l’interopéra­bilité, soit la capacité à s’engager ensemble en partageant des compétences et des pro­cédures, tout en appréhendant les matériels et les zones d’intérêt des uns et des autres. Cette année, les divisions pourront travail­ler à leur propre plan de coopération avec les pays partenaires, sous les directives et le contrôle du CFOT ou CTE. 

En leur permet­tant de s’entraîner et d’armer leurs propres projections et dispositifs d’alerte dans leurs zones respectives, la régionalisation favori­sera une meilleure réactivité. Ainsi, une uni­té spécifique a la charge d’armer un dispositif d’alerte régional, pouvant être déclenché, sur demande, dans des délais très brefs. Les bri­gades, quant à elles, accomplissent leurs mis­sions sur des territoires qui leur sont alloués pour un an. Ces nouvelles logiques d’attribu­tion des contrats reposent en majeure partie sur la subsidiarité, où autonomie et respon­sabilité sont accordées à tous les échelons. Ainsi 1 division, 1 brigade ou 1 régi­ment auront davantage de liberté pour arti­culer leurs unités. 

Les commandements Alpha

Les commandements Alpha sont les nouveaux commandements opérationnels dédiés à l’appui du combat du corps et des divisions dans les domaines clés de l’hybridité et de la profondeur, du commandement et de la maîtrise de la zone arrière.

Commandement des actions spéciales Terre (CAST)

Le commandement des forces spéciales terrestres (CFST) est devenu début 2024, le commandement des actions spéciales Terre (CAST). Près de 700 militaires supplémentaires, issus du Centre Terre pour le partenariat militaire (CPMO), du Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE) et de la 712e compagnie cyber, ont renforcé les unités du CFST. Le CAST est un acteur majeur de l’hybridité et des stratégies indirectes. En plus des opérations spéciales, celui-ci voit l’extension de ses spécificités, avec l’intégration des actions dans la profondeur jusqu’aux opérations numériques, de l’influence et du partenariat militaire opérationnel. 

Commandé par un général de division, il est assisté d’un adjoint “forces spéciales” et d’un adjoint “hybridité”, chargé de mettre en synergie l’ensemble des capacités au profit des armées. Au même titre que ses donneurs d’ordres  interarmées historiques du Centre des opérations spéciales et de la Direction du renseignement militaire, le CAST répond aux demandes émanant du Centre de préparation et de conduite des opérations, du Commandement de la cyberdefense et du Commandement Terre en Europe. 

Commandement de l'appui et du renseignement dans la profondeur (CAPR)

Créé en 2024, le CAPR a pour vocation de renforcer la puissance de combat des forces terrestres dans la profondeur de la dimension aéroterrestre (3D). Constitué de la 4e brigade d’aérocombat, de la 19e brigade d’artillerie et de la brigade de renseignement et cyber électronique, le CAPR appuie les divisions et le corps d’armée en mettant à disposition des capacités de commandement, d’action et d’appui, dans les fonctions 3D, feux dans la profondeur, défense sol-air, renseignement et guerre électronique. 

Ses unités contribuent à atteindre l’ennemi entre 50 et 500 kilomètres derrière la ligne de front. Afin que les forces terrestres puissent mener des actions coordonnées dans cette zone du champ de bataille, le CAPR sera le cœur de leur préparation opérationnelle interarmes commune. 

De plus, il permet d’accélérer la boucle renseignement/acquisition/neutralisation des cibles et anime la réflexion sur l’interopérabilité. Enfin, il poursuit le développement de l’appui renseignement nécessaire dès le temps de compétition, via un dispositif élargi. Cette opérationnalisation de la chaîne renseignement s’étend de la brigade jusqu’aux unités déployées.

Commandement de l'appui terrestre numérique et cyber (CATNC)

Le CATNC assure la cohérence de l’organisation, du fonctionnement, de l’emploi et des évolutions des domaines de l’appui numérique et du cyber dans la lutte informatique défensive. Il est au cœur de la maîtrise des données, facteur clé de supériorité opérationnelle. Il dispose d’une brigade qui répond aux besoins des forces en matière d’échanges, de traitement et de sécurisation de l’information.

« Le CATNC fait face aux nouvelles réalités opérationnelles en appuyant les forces dans leur manœuvre cinétique et non cinétique », précise le général de division Norbert Chassang, commandant le CATNC. Il appuie à la fois les opérations en posture permanente et le déploiement des moyens humains et matériels de la préparation opérationnelle de ses unités subordonnées et des états-majors opérationnels.

De plus, il contribue à la politique de sécurité numérique et à l’élaboration de la doctrine en matière de cyber. Il s’appuie sur une réserve densifiée et intégrée au fonctionnement des états-majors et aux missions des régiments. Il développe des partenariats avec des acteurs du numérique.

Commandement de l'appui et de la logistique de théâtre (CALT)

Construit à partir du commandement de la logistique des forces, du commandement de la maintenance des forces terrestres et de régiments EOFOT regroupés dans une nouvelle structure de niveau divisionnaire, le CALT sera composé, dès cet été, d’1 état-major et de 3 brigades spécialisées (brigade logistique, brigade de maintenance et brigade du génie) aux capacités spécifiques et complémentaires. Sa mission principale est de permettre la projection en 30 jours dans un contexte de haute intensité, d’une division à 2 brigades et ses moyens organiques, et de les soutenir de manière autonome ou dans le cadre d’une coalition

Son action est déterminante pour consolider l’aptitude des forces terrestres à s’engager dans un conflit majeur. Depuis la zone arrière et en liaison avec la métropole, le CALT permet l’appui au déploiement de la force et la cohérence de la chaîne logistique du niveau opératif jusqu’au niveau tactique. Il s’appuie sur un groupement de soutien divisionnaire qui va agir au plus près de la force pour maximiser la réactivité de l’appui et des soutiens. 

Les enjeux sont importants pour les forces terrestres. Les unités du CALT produisent des effets sur l’ensemble de la zone des opérations, depuis la métropole (approvisionnement/acheminement/appui voie ferrée et voie maritime), dans la zone des contacts et jusque dans la profondeur.

La préparation opérationelle adaptée aux enjeux

La transformation de la force opérationnelle terrestre modifie aussi les standards de la préparation opérationnelle. La nouvelle typologie, liée à la régionalisation et à l’ambition de déployer une division en trente jours en 2027, requiert plus d’agilité, de réactivité et de diversité. De plus, elle s’adapte aux enjeux de conflictualité moderne comprenant hybridité et haute intensité.

Forte de son expérience acquise au cours de ses précédents engagements ces 20 dernières années (Afghanistan, Mali…), l’armée de Terre adapte en permanence sa préparation opérationnelle. En effet, dans un monde toujours plus instable et imprévisible, elle doit être prête à toutes les hypothèses d’engagement, de la plus dangereuse à la plus probable. De ce fait, elle intensifie le durcissement de l’entraînement de sa force opérationnelle pour accroître sa puissance de combat et être à la hauteur des chocs les plus durs. 

En concentrant son effort sur le combat symétrique dit “de haute intensité”, l’armée de Terre prend aussi en compte l’élargissement du champ de conflictualité (multi-milieux et multi-champs), la modernisation de ses capacités (Scorpion), sans oublier l’interopérabilité interarmées et interalliés.

Évolution des standards opérationnels

En s’appuyant sur la LPM 2024-2030 et dans sa logique de régionalisation (division monde et Europe), elle adopte une nouvelle typologie de la préparation opérationnelle avec l’évolution de ses standards opérationnels (SO). Le SO est un niveau minimal de préparation opérationnelle permettant de mesurer l’aptitude à l’engagement des unités par l’entretien et le renfort de leur savoir-faire. Il est indispensable à la maîtrise des missions majeures. Le SO se devise en trois standards.

Le standard opérationnel 1 (SO1)

Il correspond à la préparation opérationnelle métier (POM) conduite en garnison. Il est commun à tous les échelons tactiques, du niveau corps d’armée au niveau régimentaire. Dans un régiment de cavalerie, par exemple, le SO1 est confié au chef de corps dont la responsabilité est de s’assurer que tous ses hommes (de l’état-major au pilote de char) maîtrisent les savoir-faire essentiels, quant à la mise en œuvre de leur matériel et de leur armement de dotation. 

« La POM est indispensable à toutes les unités avant de prétendre à des préparations opérationnelles de plus haut niveau -interarmes, interarmées et interalliés– », précise le colonel Jean-François, adjoint à la division formation préparation à l’engagement au CFOT. Le SO1 valide l’aptitude des unités à s’engager immédiatement sur une préparation au standard opérationnel 2 ou 3 (SO2 ou SO3).

Le standard opérationnel 2 (SO2)

Il est le standard de l’engagement opérationnel, intérieur comme extérieur. Le SO2a concerne les missions réalisées sur le territoire national, telles que Sentinelle ou Harpie. Il valorise aussi les mises en condition finale de 4 mois réalisées pour les opérations extérieures et missions de courte durée en gestion de crise au Liban ou en Afrique. Pour ces dernières projections, hors territoire national, l’expérience opérationnelle interarmes est valorisée en fin de mission par l’attribution du SO2b.

Le standard opérationnel 3 (SO3)

Il est le standard des conflits de haute intensité, tant sur le flanc Est de l’Europe que dans le golfe arabo-persique. Il s’acquiert à travers un parcours de préparation opérationnelle diversifié (tir interarmes, combat en zone ouverte puis en zone urbaine) et durci (aguerrissement, contrôle, endurance). Il est conduit sur les infrastructures du COMECIA, en terrain libre et lors des grands exercices. 

Cette préparation est conduite sur 18 mois et permet d’attribuer le standard SO3 aux unités immédiatement prêtes à un engagement majeur. Le SO3b Europe ou désert est attribué aux unités en mission opérationnelle ou de courte durée (comme en Roumanie, Estonie, ou Djibouti), qui poursuivent leur entraînement, lors de déploiement ou d’exercices otaniens ou bilatéraux.