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L'armée de Terre se transforme

Texte : CNE Anne-Claire PÉRÉDO, CNE Eugénie LALLEMENT, Clémentine HOTTEKIET-BEAUCOURT

Publié le : 13/09/2023 - Mis à jour le : 18/09/2023.

Les ambitions militaires de la France sont élevées et correspondent au caractère d’« une France, puissance d’équilibres ». Les armées sont un outil précieux pour tenir ce rôle car l’arme nucléaire n’a pas mis fin aux rapports de force. La guerre en Ukraine le prouve.
Alors à quoi sert l’armée de Terre ? L’engagement aéroterrestre vise à prendre l’ascendant sur l’ennemi, le dominer et le détruire. Mais il sert aussi à construire, conquérir et stabiliser. Dans un contexte marqué par la fin des engagements choisis, la révolution numérique et la compétition permanente, l’enjeu est de maîtriser l’escalade de la guerre. La situation impose à notre armée de revoir ses modes d’action et de s’adapter. Vaincre sur un champ de bataille ne suffit pas à emporter la victoire. Il est primordial de tenir l’équilibre entre capacités conventionnelles et émergentes, haute intensité et champs immatériels.

« La métamorphose »

Pendant ces vingt dernières années, le combat des armées s’est concentré sur le terrorisme. Cette donne change : les adversaires d’aujourd’hui sont capables de mobiliser des volumes importants d’hommes et de matériels modernes. À cela s’ajoutent les cyberattaques et les opérations d’influence, capables à elles seules de retourner une opinion. Face à ces menaces variées, l’armée de Terre doit s’adapter. La grande mue commence.

Si la loi de programmation militaire (LPM) donne les moyens à l’armée de Terre de changer, le contexte géopolitique lui ordonne d’évoluer. « Demain nous ne choisirons pas nos engagements. Il faut une organisation permettant de jouer sur les échelles d’intensité […] et de gagner la guerre avant la guerre. » (discours du Cemat lors de la présentation de la transformation de l’armée de Terre au ministre des Armées).

Mais comment forger une armée prête à traverser les périls de son siècle ? La réponse tient en deux mots, « se transformer ». Tout d’abord, en redonnant de l’autonomie à chaque échelon de la chaîne de commandement. Le but ? Sortir d’un système où les directives intermédiaires prennent souvent le pas sur les finalités opérationnelles.

Pour cela, l’organisation en métropole sera plus proche de celle en opération. Les brigades seront l’élément central des engagements déployables, avec une force de 5 000 hommes chacune. Toutes seront dotées de capacités d’appui et de soutien (cyber, maintenance…) pour gagner en autonomie et en réactivité dans des délais très brefs.

 

Une organisation adaptée

Pour agir vite sur de nouveaux champs de bataille comme le cyber, un rééquilibrage des fonctions opérationnelles est nécessaire. Cette transformation se faisant à iso-effectif, près de 10 000 postes issus de l’infanterie et de la cavalerie seront dédiés au cyber, au renseignement, à la logistique et aux systèmes d’information et de communication. L’armée de Terre doit ensuite poursuivre ce qui a été initié sur le plan capacitaire et continuer d’innover.

Et puisqu’il n’y a pas d’armée sans soldats, les efforts de recrutement, de formation et de fidélisation sont au cœur de cette grande métamorphose vers une armée de combat. Une école du cyber verra d’ailleurs le jour prochainement. Cette nouvelle organisation est pour l’armée de Terre, l’opportunité de répondre avec plus de facilité à ses engagements actuels : protection en métropole et outre-mer, prévention en Afrique, au Moyen-Orient et dans la région Indopacifique, solidarité stratégique en Europe.  

Un commandement spécifique

 Pour investir dans de nouvelles compétences et optimiser la gestion humaine, le pilier RH sera étoffé. Le pilier maintenance sera lui aussi renforcé pour offrir de l’endurance aux matériels terrestres et fluidifier le lien avec les industriels de Défense. En parallèle, le commandement du territoire national devient un Etat-major interarmées du territoire national chargé des engagements sur le sol français.

Le commandement de la force opérationnelle terrestre remplacera lui le commandement des forces terrestres. Il sera densifié par la préparation des forces et la création d’un commandement spécifique du numérique et du cyber. Un commandement du combat futur verra également le jour pour préparer l'avenir en observant les conflits actuels et en développant nos capacités d'innovations. Car l’ambition est bien là : être prêt au combat quel qu’il soit.

Les engagements de l'armée de Terre

L’armée de Terre est présente, prête à intervenir partout et en urgence. Au total, ce sont presque 30 000 femmes et hommes qui sont déployés sur le territoire national et à l’extérieur des frontières. En 48h ils peuvent intervenir sur l’ensemble du globe grâce aux différents dispositifs d’urgence.

Futurs chefs, à vos robots!

Le 29 et 30 juin, un exercice de combat aéroterrestre a été mené par des sous-lieutenants de l’école militaire interarmes. L’occasion de tester des prototypes robotiques avec le Centre de recherche de St Cyr-Coëtquidan et les industriels de défense. Une nécessité pour les officiers-élèves qui devront les intégrer à leurs tactiques.

À Ville Bizard, le village de combat urbain de l’Académie militaire de St Cyr-Coëtquidan, la première brigade de l’École militaire interarmes (EMIA) zigzague dans les hautes herbes en direction du village. La troupe ennemie a envoyé son drone en repérage mais le feuillage des arbres cache leur progression.

Pendant deux jours, la section enchaîne des scénarios tactiques offensifs et défensifs, de jour comme de nuit. Un programme complet pour former ces futurs chefs à la coordination aéroterrestre. Cet exercice est organisé par le Centre de recherche de St-Cyr (CReC) en partenariat avec certains industriels de défense (Safran, Shield Robotics, Scalian) et sous le regard de la Section technique de l’armée de Terre et de la Direction générale de l’armement.

Chaque scénario est exécuté trois fois. Le premier sans robots, le deuxième avec, pour l’équipe amie, un robot terrestre (le Fardier) et deux drones aériens de reconnaissance, et le troisième où l’ennemi est équipé d’un drone d’observation. Pour Gérard de Boisboissel, ingénieur de recherche au CReC : « L’objectif est d’évaluer les gains apportés par la robotique en situation de combat, et de penser de nouvelles manières de combattre.»

Contourner les obstacles

La sous-lieutenant Mikela, chef de section, lance son drone aérien en reconnaissance. Ce dernier est piloté par un opérateur civil, désigné par les industriels, situé à l’arrière du dispositif dans un véhicule tactique. À ses côtés, l’adjoint du chef de section coordonne l’action. Très vite, il repère l’ennemi et transmet sa position à Mikela. « C’est la première fois que je travaille avec un robot, cet atout tactique m’offre une analyse consolidée du dispositif ennemi avant de lancer l’assaut », explique cette dernière.

Un groupe se poste en appui pour guetter le sud du hameau, tandis qu’un autre couvre le Nord-Ouest. Le Fardier, petit véhicule de transport automatisé (mis à disposition par la société Safran), part en reconnaissance vers l’ennemi. Ce n’est pas R2-D2® mais il est télé-opéré et contourne seul les obstacles. « Équipé d’un canon, il peut se substituer à un groupe d’appui », constate Mikela.

À son signal, les soldats s’élancent. Une rafale de tirs résonne puis le silence s’installe. À la radio, le compte-rendu tombe : « 4 morts ennemis. Bâtiment 5 pris ». En quelques minutes seulement, la première bâtisse est occupée. L’insecte bourdonnant est renvoyé en repérage. Petit à petit, les combattants progressent, forçant l’adversaire à se replier dans la dernière maison. À l’ultime assaut, l’ennemi est vaincu. Finalement, la robotique augmente la durée du combat mais la section évolue de manière plus sécurisée en limitant les pertes humaines.

« Préserver le potentiel humain »

Les officiers-élèves de l’EMIA, dotés d’une expérience opérationnelle, ont le recul nécessaire pour analyser la situation. La sous-lieutenant Mikela relate : « D’abord absorbée par la tablette, j’en ai oublié le terrain. Au troisième scénario, je me suis reconcentrée sur mes hommes, ce sont eux qui primentLes robots n’interviennent qu’en appui. » Elle est informée sur les ondes par son adjoint, au fur et à mesure de l’avancée de l’équipe.

« L’utilisation de la robotique est une charge cognitive supplémentaire. Pourtant avec de l’entraînement, elle préserve le potentiel humain, en remplaçant un groupe ou en évacuant des blessés. » À l’arrière, les industriels saluent le sang-froid de la chef de section. « Elle a su réactualiser sa tactique. » À la fin de l’exercice, les officiers-élèves expriment leur ressenti via un questionnaire pour optimiser l’emploi tactique de ces équipements en situation de combat. Sur un théâtre de guerre, tout doit être fluide.

Le saviez-vous ?

En 2021, les officiers-élèves ont testé la robotique terrestre en combat urbain. En 2022 ils ont simulé un essaim de drones. Pour cette troisième édition, la coordination robot terrestre et aérien était au programme.

En phase

La compagnie de réserve du 3e régiment du génie innove pour l’instruction de ses militaires du rang. En janvier, elle a testé pour la première fois un nouveau modèle de formation en phase avec la variété des modes de vie de nos concitoyens.

Essentielle pour relever les unités d’active ou répondre à d’éventuels scénarios d’urgence sur le territoire national, pouvant aller jusqu’à l’engagement de haute intensité, la réserve devrait doubler de volume d'ici à 2030, pour atteindre 48 000 personnes. Selon l'objectif fixé, elle assurera davantage de missions de contact. Pour accompagner cette transition, les unités s’adaptent. À l’image du 3e régiment du génie (3e RG) de Charleville-Mézières, dont la compagnie de réserve propose depuis janvier, un nouveau format de formation pour ses militaires du rang.

Les instructions du certificat d’aptitude technique élémentaire (CATE) et du certificat d’aptitude militaire élémentaire (CAME), s’étendront désormais sur 4 mois, au lieu de 2 semaines continues. « Les formations programmées jusqu’ici ne permettaient pas d’absorber les effectifs en raison du manque de disponibilité des cadres et des militaires du rang sur les créneaux proposés. Avec cette initiative, davantage de réservistes pourront suivre le CATE ou le CAME », explique le colonel Rémy Hémez, chef de corps du 3e RG. L’objectif : recruter plus, faire monter en compétences la réserve et fidéliser la ressource.

Mettre en situation

Le premier CATE fractionné s’est déroulé de janvier à avril 2023. Le contenu de la formation reste inchangé par rapport aux éditions précédentes. La nouveauté réside dans la volonté de s’adapter aux nouvelles méthodes d’apprentissage à distance et d’individualiser le suivi des stagiaires.

Le capitaine® Olivier, commandant d’unité de la 5e compagnie, précise : « Les stagiaires accèdent aux cours et aux fiches de séances à domicile. Ils dégrossissent les informations en amont, puis l’un d’eux est désigné pour dispenser l’instruction lors d’un week-end “terrain” organisé par la compagnie. Il est évalué sur la préparation, la participation et la restitution des acquis. » Chacun peut ainsi passer le temps qu’il souhaite sur un module et demander de l’aide à ses cadres si besoin.

Ce nouveau format bénéficie au réserviste à plusieurs titres. Il permet de le responsabiliser dans son apprentissage, de le mettre en situation pédagogique au sein de sa compagnie, tout en continuant à s’entraîner avec ses camarades (combat, tir) lors des week-ends où chacun doit être présent.

Davantage de responsabilités

« Cette première édition a suscité beaucoup d’investissement de la part des inscrits. L’accueil a été très bon. Certains de nos réservistes n’avaient pas pu suivre la formation depuis leur engagement, faute de disponibilité. C’est chose faite désormais », souligne le capitaine. 4 soldats sont ainsi passés caporaux et un caporal a été promu caporal-chef à l’issue de ce CATE. « Mon souhait est d’alterner avec un CAME chaque année », poursuit-il.

Le caporal Grégoire a participé aux réflexions. Au régiment depuis 2017, il a effectué le CAME l’an passé et testé le CATE cette année. Il affirme : « Cette nouvelle formule permet de rapprocher les militaires du rang et leurs cadres ». Une fois les certificats validés, les lauréats accèdent à davantage de responsabilités, une perspective qui renforce l’attractivité chez cette population jeune et active.

De juin à août, 70 réservistes ont été déployés pour l’opération Sentinelle. Un chiffre jamais atteint jusque-là. Parmi eux, plusieurs stagiaires, qui avaient commencé l’année comme soldats de première classe, sont partis comme chefs d’équipe. S’il est encore trop tôt pour dire qu’il existe un lien entre cette initiative régimentaire et cette participation inédite, les résultats sont, quoiqu’il en soit, encourageants pour l’avenir.

Le saviez-vous ?

Le 3e RG binôme systématiquement les soldats de l’active et ceux de la 5e compagnie de réserve pour les actions de préparation opérationnelle.