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Le renseignement

Texte : CNE Justine de RIBET

Publié le : 22/11/2023 - Mis à jour le : 01/12/2023.

Recherche sur Internet, lecture d’un article de presse, échange avec une personne ou encore écoute et observation sont autant de manières de recueillir des informations. Si se renseigner reste un acte banal pour le grand public, il est vital pour les armées. Que ce soit au niveau politico-militaire ou tactique, il est indispensable pour la planification, la conduite des opérations et la prise de décision. 8 000 spécialistes, toutes armées confondues, collectent, trient, analysent et interprètent les millions de données qui circulent chaque jour dans le monde. Leur exploitation repose sur la parfaite collaboration des services du renseignement des différents ministères pour garantir la sécurité nationale, celle de nos ressortissants dans le monde, l’autonomie de décision de nos dirigeants et la supériorité opérationnelle. Dans cet océan de données se cache une mine d’informations précieuses pour le domaine du renseignement. Pour conserver l’initiative, l’armée de Terre s’adapte en permanence au gré des avancées technologiques. Le commandement du renseignement de l’armée de Terre au combat continuera d’apporter un avantage opérationnel sur nos adversaires, dès le temps de la compétition.

Défis non confidentiels

Face aux bouleversements géopolitiques et technologiques actuels, l’armée de Terre s’adapte. L’une des principales évolutions concerne le Commandement du renseignement afin de fluidifier les échanges d’informations entre les unités sur le terrain. Objectif : Une boucle renseignement-feu plus réactive.

Le renseignement est indispensable à la planification et à la conduite des opérations. Les méthodes de collecte évoluent avec les technologies. Dès lors, une transformation s’impose. Sous l’impulsion du chef d’état-major de l’armée de Terre, le Commandement du renseignement (COMRENS) deviendra en août 2024 le Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR).

Il regroupera les brigades du renseignement et de cyber-électronique, de l’artillerie et de l’aérocombat. L’objectif : fédérer, sous une même autorité, les unités capables de détecter et neutraliser un adversaire dans la profondeur en quelques minutes. Sur le champ de bataille de demain, les échanges seront fluidifiés et les capteurs plus nombreux et mieux coordonnés, accélérant la prise de décision et optimisant l’efficacité des feux (dans la profondeur).

L’avantage opérationnel sera considérable. En parallèle, le CAPR coordonnera le renseignement militaire produit par les unités de l’armée de Terre. « En 30 ans d’opérations extérieures, nous n’avons pas eu d’adversaire symétrique, c’est-à-dire capable de nous bousculer, d’avoir des intentions qui puissent nous freiner dans notre mission, conclut le général de division Guillaume Danès, à la tête du COMRENS. L’ennemi de demain imposera son propre rythme. »

« L’information n’appartient à personne »

« Pour agir, il faut se renseigner, poursuit le général. Et renseigner c’est aider le chef militaire à remplir sa mission. » Pour être efficace, chaque échelon du niveau tactique au stratégique, doit disposer d’informations fiables. « Le COMRENS sert les intérêts des unités et ceux du CEMAT, tandis que la Direction du renseignement militaire, sert aussi les intérêts du chef d’état-major des armées

Tête de chaîne de la fonction renseignement des armées, la Direction du renseignement militaire (DRM) oriente et coordonne l’action de la FIR. « In fine, nous travaillons ensemble et avec le même objectif. Sur les théâtres d’opérations, il arrive qu’une unité Terre récupère une information qui sera exploitée par la DRM au profit de l’armée de l’Air et de l’Espace ou de la Marine nationale. ». De même, la DRM fournit du renseignement directement utilisable par les forces projetées. Cet appui quotidien est nécessaire pour faciliter la prise de décisions des hautes autorités. « L’information n’appartient à personne, elle doit circuler », ajoute-t-il.

Veiller à la bonne coordination

Après la fin de l’empire soviétique et du pacte de Varsovie puis la guerre du Golfe, les armées françaises ont tiré les leçons de leurs engagements et des crises. En 1993, la brigade de renseignement et de guerre électronique, rebaptisée brigade de renseignement en 1998, est créée et devient le Commandement du renseignement en 2016.

Au-delà de l’entraînement et de la préparation opérationnelle des régiments placés sous son autorité, le COMRENS oriente et exploite la totalité du renseignement de l’armée de Terre et veille à la bonne coordination et l’emploi des capacités en Opex. En collaboration avec la DRM, il apporte aux autorités l’appréciation de situation du milieu aéroterrestre dont elles ont besoin.

Le renseignement de l'armée de Terre en 2024

Droit aux sources

Pour recueillir des informations, les unités de renseignement ont recours à différents capteurs qui exploitent des sources. Complémentaires, ils se classent en quatre catégories principales : humaine, imagerie, électromagnétique et cybernétique. Leur emploi combiné permet d’éviter l’intoxication par de fausses informations et facilite les prises de décision des autorités. Au sein de l’armée de Terre, chaque unité du COMRENS a sa spécialité.

La source humaine

Le renseignement d’origine humaine est le produit du recueil de données auprès d’informateurs, de la population locale, de prisonniers de guerre, d’agents infiltrés, ou via l’observation à distance comme le fait le 2e régiment de hussards notamment. Cette unité a pour mission la collecte d’informations sur les mouvements ennemis, la surveillance de zones stratégiques et la sécurisation des voies de communication.

Infiltration, observation discrète, camouflage sont autant de techniques utilisées. La source humaine complète les informations obtenues par le biais d’autres sources, mais surtout confirme, recoupe et valide un renseignement en étant au plus proche de l’action.

La source image

Le renseignement d’origine image est issu de la collecte, l’analyse et l’interprétation d’images et de vidéos récupérés par le biais de satellites, de drones ou d’avions. L’imagerie fournit des détails importants sur des sites géographiques, des mouvements de troupes adverses, des installations militaires ou encore des obstacles sur des voies de communication, etc.

Le 61e régiment d’artillerie, surnommé "les yeux de l’armée de Terre", recueille en temps réel des images pour effectuer de la veille stratégique, appuyer l’engagement des forces aéroterrestres et évaluer les frappes des unités amies. Demain, avec son drone Patroller, déjà équipé de capteurs optiques et radars, le 61e RA intègrera un capteur électromagnétique et une capacité de frappe.

La source électromagnétique

Le renseignement d’origine électromagnétique est obtenu à partir de signaux généralement émis par les ondes d’une radio, d’un satellite ou d’un radar. Les unités utilisent des équipements qui interceptent, analysent, localisent et éventuellement perturbent ces signaux, pour anticiper les intentions ou les actions de l’adversaire. Le 54e régiment de transmissions, le 44e régiment de transmissions, appuyés par la 785e compagnie de guerre électronique, fournissent ce renseignement au profit des chefs interarmes et des unités sur le terrain.

La source cybernétique

Un nouveau type de renseignement a vu le jour avec l’arrivée d’Internet, les évolutions technologiques et les réseaux sociaux : le renseignement d’origine cyber. Il est élaboré à partir de données numériques émises dans le cyberespace. Les unités recherchent dans celui-ci des informations sur l’ennemi ou l’environnement qui serviront à la préparation et à l’exécution d’une opération

La passion du secret

Le monde du renseignement se décloisonne, comme le prouve le parcours de l’adjudant Maxence. Issu du 13e régiment de dragons parachutistes, il est aujourd’hui capteur spécialiste dans le renseignement humain à la DRM. Il recueille de l’information par le biais de sources ou d’éléments trouvés sur les théâtres d’opérations. Une spécialité sensible au contact de la cible. Il nous ouvre les portes de cet univers secret.

Au bout du fil, les premiers mots de l’adjudant Maxence résonnent : « Je n’ai pas l’habitude de parler de moi, je vais essayer de faire au mieux ». La discrétion est l’une des qualités premières dans ce milieu, tout comme la faculté de s’adapter à son environnement. Au sein des armées, chaque personnel est un capteur humain en puissance, il existe trois unités en France dont c’est le cœur de métier : le Centre interarmées de recherche, de recueil du renseignement humain (CI3RH) à la DRM, le 2e régiment de hussards et le 13e régiment de dragons parachutistes (13e RDP), premier régiment de l’adjudant Maxence.

« Mon parcours est un peu particulier, commence le parachutiste. Je m’étais engagé à Saint-Maixent pour devenir sous-officier… je me suis rendu compte que j’aspirais à autre chose. » Avec l’appui de son encadrement, il dénonce son contrat et se réengage comme militaire du rang au titre des unités du Commandement des opérations spéciales (COS).

Tout s’enchaîne très vite, cependant avant de rejoindre le 13e RDP, l’adjudant doit faire sa rentrée à Dieuze (Moselle). Il refait ses classes comme tout le monde néanmoins les attentes des cadres sont différentes de celles de ses camarades. Il commence avec le grade de 1re classe puis passe rapidement brigadier grâce au certificat militaire élémentaire qu’il a obtenu à Saint-Maixent.

« Être au cœur de l’action »

Les premières responsabilités arrivent, ses cadres lui font confiance et lui laissent la main sur certaines instructions. Maxence s’en rappelle comme si c’était hier : « J’en garde un très bon souvenir, mais j’avais soif d’aventure avec le 13e RDP ». La vie régimentaire est rythmée : en 14 ans, Maxence participe à 10 opérations extérieures au Mali, au Niger, en Afghanistan, en Centrafrique ou encore en Syrie. Qu’à cela ne tienne, l’adjudant est passionné par son métier.

Entre 2005 et 2010, il gravit rapidement les échelons, passe du poste d’observateur en équipe de recherche à celui de chef de cellule d’observation. « J’ai choisi cette voie parce que j’avais envie d’être au cœur de l’action sur le terrain. Notre métier consiste à être au plus proche des faits, à collecter de l’information, à la transmettre et à maintenir des liens avec des sources pour connaître les intentions des adversaires ou à faciliter le quotidien des armées. »

Pour cet ancien du 13e RDP, les meilleures années restent celles qu’il a passées comme chef de cellule d’observation. Ce qui lui plaît : avoir des responsabilités, gérer une cellule et s’appuyer sur sa propre expérience pour former les jeunes qui arrivent. Avant de quitter le 13e RDP, Maxence repart une dernière fois en Opex à Djibouti. La boucle est bouclée puisque quatorze ans auparavant, il s’agissait de sa première mission.

« Un travail d’enquêteur »

Janvier 2021, près de Ménaka, un véhicule blindé léger de la force Barkhane est touché par un engin explosif improvisé. Maxence est immédiatement déployé sur zone avec une équipe de déminage. « Ma mission était de comprendre ce qu’utilisait l’ennemi pour éviter que notre personnel soit exposé et limiter la menace », explique-t-il.

Depuis 2018, l’adjudant est au CI3RH de la DRM comme capteur spécialiste dans le domaine de la recherche humaine à caractère technique. « Nous avons aussi le rôle de conseiller en opérations, nous sensibilisons les unités des trois armées. Nous avons accès à des informations via des réseaux classifiés, des responsabilités et de l’autonomie. Je mène un travail d’enquêteur qui permet d’élargir la compréhension des situations à un niveau stratégique. »

L’adjudant découvre le travail en interarmées. Contrairement à ce que l’on peut croire, les personnes ne sont pas toutes issues des unités du renseignement. « Toutes les armes et spécialités sont les bienvenues, cela fait partie de notre richesse », ajoute-t-il. Aujourd’hui, l’adjudant Maxence regarde son parcours avec fierté et une pointe de nostalgie. Il continue d’écrire son histoire, mais comme tout bon militaire dans le domaine du renseignement, il laisse planer le doute sur son avenir.