Les apparences sont trompeuses

Un froid glacial s’est abattu sur la Champagne en janvier dernier. Le camp de Mailly est gelé et pris au piège d’une épaisse brume. L’odeur si caractéristique de la terre est encore plus prégnante que d’habitude. Tout semble figé comme immobile. En s’enfonçant dans ce brouillard, des silhouettes de véhicules se dessinent. Pourtant, arrivé à quelques centimètres d’eux, la surprise est totale : il s’agit d’éléments gonflables simulant un poste de commandement. L’imitation est parfaite. 

Déjà utilisés pour tromper l’ennemi lors du débarquement en juin 1944, les leurres sont de retour au Centre d’entraînement au combat-premier bataillon de chasseurs à pied (Centac-1er BCP). Bâche figurative accrochée dans un sous-bois, blindé en toile rempli d’air, traces des roues dessinées dans le sol… Le centre inclue ce type d’artifices dans l’instruction des unités en rotation. Tout est fait pour susciter le doute dans l’esprit des combattants. La confusion depuis la terre et les airs est telle qu’elle met en difficulté les soldats. 

La cellule "effet" du centre peut déployer un simulacre en fonction du besoin d’animation. « Pour certaines structures, il suffit de deux personnes pour une installation de la tromperie en moins d’une demie heure. Son rendu bluffant complexifie le champ de bataille d’exercice », explique le capitaine Yann, référent des effets dans les champs immatériels au Centac-1er BCP.

Provoquer l'incertitude

Le Centac-1er BCP développe depuis octobre 2023 les techniques de leurrage avec la volonté de complexifier l’environnement d’entraînement au combat des unités. L’objectif est d’évaluer la réactivité des commandants d’unité se trouvant confrontés à une présence ennemie artificielle : le centre dispose notamment aujourd'hui de leurres d'un véhicule de l’avant blindé (VAB), un véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) et d'un système de défense aérienne russe Pantsir. 

Construit par l’entreprise tchèque Inflatech, ce dernier "ballon" gonflable du camp n'est pas qu'une simple copie du véhicule anti-aérien. Il possède une soufflerie interne d’une autonomie de plus de huit heures et intègre une signature thermique.  Lors d’un exercice en mars dernier, des Mirage 2000 et des Rafale n’ont d’ailleurs pas découvert la supercherie. 

« Ses caractéristiques sonores et physiques font de cet artefact un objectif plus vrai que nature. C'est ce qui les rend crédibles » insiste le capitaine Yann. Une fausse direction vers laquelle regarder provoque une incertitude et un ralentissement de l’action entreprise. Une fausse direction vers laquelle regarder provoque une incertitude et un ralentissement de l’action entreprise, voire des choix préjudiciables qui peuvent être exploités en réaction.

« Dévoiler leur jeu »

Les leurres sont utilisés par les forces ukrainiennes depuis le début de l’invasion russe. Les répercussions vont du simple temps d’attention occupé jusqu’aux dépenses de munitions tirées sur les fausses cibles. Les soldats entraînés au Centac-1er BCP sont donc confrontés à ces difficultés. Ils doivent intégrer dans leur réflexion la probabilité du subterfuge et s’habituer à la prise de décision rapide. 

« La manœuvre dite de déception, doit perturber la bonne compréhension par l’ennemi, induire une réaction inappropriée et in fine, forcer les combattants à dévoiler leur jeu », précise-t-il. L’emploi des leurres est à mettre en parallèle avec l’évolution plus générale de la guerre ; celle-ci évolue dans le domaine de l’information et de la désinformation.

En ce sens la déception comprend la dissimulation, la diversion et l’intoxication. Elle peut notamment se manifester par l’augmentation de l’effet de masse d’une unité. Au vu de l’efficacité des structures gonflables, le Centac-1er BCP poursuit son expérimentation et vise l'augmentation de son parc de véhicules simulés. Un avenir qui ne manque pas d’air.