Retour aux sources
Texte : Aspirant Emilien Lamadie
Publié le : 24/07/2025.
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Le retour de la guerre chamboule les bases. Survivre en conditions dégradées devient une nécessité. Le nouveau stage “Némésis” du 9e régiment d’infanterie de Marine propose de s’y préparer au plus profond de la forêt guyanaise, un environnement hostile obligeant les soldats à agir dans le chaos et loin du commandement. Cette instruction a pour ambition de devenir un passage commun pour tous les sous-officiers en formation.
Au cœur de la jungle guyanaise, un groupe de marsouins du 9e régiment d’infanterie de Marine (9e RIMa) est posté, presque invisible sous l’épaisse canopée. Ils ne font qu’un avec la nature. Le chef, le nez dans les cartes s’assure de sa position et recherche son objectif. Soudain, il siffle. Tous les regards se tournent vers lui. Il procède à un calcul avec une règle et une boussole. Quatre. Deux. Zéro. Zéro.
En quatre signes de main rapides, il donne aux soldats le prochain azimut : 4200 millièmes. Chacun note en silence. Sans échanger un mot, ils repartent assurés de leur destination. Ils ne sont pas ici pour lutter contre l’orpaillage illégal mais pour participer à la première du stage “Némésis” du Centre de formation fleuve et forêt (C3F).
Experts de la “selva”, le centre offre des apprentissages sur le combat équatorial allant d’une initiation à de lourds aguerrissements. La nouveauté avec “Némésis” ? Simuler l’isolation dans le dénuement total après un affrontement de haute intensité, les combattants devant évoluer sans l’appui des communications permanentes et de la supériorité aérienne. Le tout au sein du milieu le plus hostile à l’homme.
« Après quatre mois de mission Harpie, les militaires ressortent plus autonomes, plus rustiques et avec plus d’audace dans leur tactique, précise le colonel Yann Mandereau, chef de corps du 9e RIMa. Le stage vise à amplifier et accélérer ce processus pour fournir ces qualités. » Il s’agit de profiter des exigences du milieu pour développer l’aptitude au commandement, la prise de risques calculés, la gestion du stress au combat sans “confort opératif”.
L’armée de Terre en Guyane a deux missions principales :
Opération Titan : en collaboration avec les autres armées, assure la protection extérieure du Centre spatial guyanais à Kourou ;
Opération Harpie : en collaboration avec les autres armées dont la gendarmerie nationale, l’armée de Terre lutte contre l’orpaillage illégal en forêt guyanaise.
Promesse tenue. En seulement 3 semaines, il propose des initiations à la survie et au pistage en plus d’enseigner la complexité de la progression en jungle. Pour cette première édition «test», les apprentis sont des caporaux-chefs du régiment passant sous-officiers.
Il est désormais midi et la chaleur est intense. Équipés de plus de 40 kilos sur le dos, les soldats sous-officiers progressent avec difficulté. En plus du climat étouffant, le terrain est truffé de branches et de racines, il est facile de s’y faire une entorse. Malgré tout le plus difficile à gérer reste la faible visibilité, laissant les apprentis sur leurs gardes. L’ennemi pourrait être proche.
Ne pas laisser de traces
Le calme de la forêt équatoriale est brutalement interrompu par un coup de feu, puis d’autres. « Contact avant » crie alors le chef de groupe avant de riposter. L’ensemble se réarticule et la mitrailleuse d’appui général ouvre le feu. Tout de suite l'adversaire est saturé. Maintenant leurs appuis, le groupe s’éloigne de la zone dangereuse.
« Il est impossible de déterminer le nombre des opposants ou d’avoir des informations sur son armement, souligne le capitaine Philippe, chef du stage “Némésis”. C’est donc la solution la plus sûre. » En quelques minutes, les militaires disparaissent dans la brousse, le temps de réaliser des contrôles sur leur armement. 30% de consommation en munitions et pas de blessés détectés annoncent les chefs d’équipe.
Il est temps de repartir car une mission de pistage les attend. L’ennemi a fui, laissant derrière lui des traces menant à son campement. En sachant quoi regarder et sentir, il est possible de les retrouver. « Déchets, aplanissement des sols ou branches brisées, les indices de passages sont nombreux, explique le sergent-chef Will, instructeur. Cependant en jungle la tâche est ardue, il est facile de perdre son chemin et sa trace. »
Volume, matériel et même mission ennemie, toutes ces informations peuvent être obtenues en étudiant simplement les traces laissées. Tout au long de la journée, le groupe remonte la piste, attentif au moindre détail et s’assurant de ne rien laisser derrière lui. La formation, qui ne fournit qu’un avant-goût de la complexité du pistage, permet aux marsouins de progresser en tactique et autonomie.
« Un milieu menaçant »
La progression est lente et l’âpreté de la jungle est palpable. Les méthodes de progression sont très procédurales. « Chaque pause est précédée d’une mesure de sûreté appelée "le crochet" pour s’assurer de ne pas être suivi, souligne l’adjudant-chef Alban, instructeur. En cas d’installation de bivouac ils doivent répéter ces gestes. »
Afin de renforcer la sécurité de la troupe, les communications sont effectuées par signes de main et en chuchotant. « Plus un milieu est menaçant, plus le combat y est exigeant et les procédures affinées. Maîtriser le combat en jungle nous rend donc à même de s’adapter à toute situation et tout environnement », insiste le capitaine Philippe.
Le 9 RIMa est le seul régiment de l’armée de Terre à ne jamais avoir eu de garnison en métropole.
Après plus de 4 heures de marche sur le terrain vallonné de la selva, le groupe arrive à proximité de l’objectif. Les éclaireurs ont repéré le bivouac ennemi à quelques centaines de mètres au nord de leur position actuelle. Les stagiaires amorcent alors une méthode anglaise : la “Close Target Recon”. Signifiant “reconnaissance d’objectif proche”, elle consiste en la séparation du groupe en deux parties.
Un petit effectif part reconnaître en toute discrétion tandis que le reste installe une base dans un rayon supérieur à 60 mètres. Puis les combattants se relayent afin d’assurer une surveillance constante sur une durée d’au moins 24 heures. Le soleil s’est couché et le groupe est scindé. Certains passent la nuit à récupérer des informations tandis que les autres préparent l’assaut.
« Agir en toutes circonstances »
Après une journée de surveillance, le chef de groupe est prêt et fait le point avec le reste de ses subordonnés. En face, un groupe ennemi équipé d’armes d’infanterie légères. Leur nouvelle mission, s’emparer de cette position. La nuit s’étend inexorablement, il est bientôt temps pour le groupe d’entamer l’opération. La “selva” est calme, les stagiaires progressent et s'enfoncent dans la végétation avec précaution pour éviter le moindre bruit.
Ils ne sont maintenant qu’à quelques mètres du campement adverse. Ils vont passer la nuit ici, installés sur de simples bâches à même le sol. « C’est la Hard routine, une procédure ou les combattants dorment dans la tenue du moment sans installer de bivouac afin d’être prêt à agir en toute circonstance », rapporte l’adjudant-chef Alban. Le reste du groupe, en appui, est déjà installé avec un visuel sur la cible. Après une courte et désagréable nuit, il est 5h30 et le soleil n’est toujours pas levé.
Dans le noir total et sans un bruit, ils s’avancent vers le campement. À proximité, les lumières des patrouilles sont visibles, il faut rester discret. Les soldats s’avancent, l’assaut est sur le point d’être lancé quand soudain, « Contact ». Un ennemi s’est trop rapproché et les soldats de l’appui ouvrent le feu. Les combattants surgissent hors des feuillages. Surpris, les plastrons n’ont pas le temps de s’organiser et se font submerger très rapidement.
En moins de deux minutes la position est prise. « Le chef de groupe a bien placé l’appui et l’assaut ce qui a permis sa réussite sans même que celui-ci soit détecté », conclut le capitaine Philippe. Après une fouille et un contrôle de personnel rapide, le chef de groupe rend compte : la mission est un succès et les participants peuvent maintenant s’exfiltrer. Fin du stage pour les marsouins. Une réussite.