Avec la Nation
Texte : Capitaine Eugénie Lallement
Publié le : 24/07/2025.
Les conflits n’ont jamais vraiment cessé depuis la fin de la Guerre froide. Pourtant, conjugués à la suspension du service militaire, ils se sont peu à peu effacés des esprits. Si la majorité des Français a une image positive des forces militaires, que sait-elle réellement d’elles ? Le retour de la guerre aux portes de l’Europe, rappelle que la paix n’est jamais acquise. Elle repose en partie sur la confiance qu’une société accorde à son armée, elle-même émanation de la Nation. L’une sans l’autre ne peut exister. Cette réciprocité définit la cohésion nationale : elle prend racine dans une société informée, confiante en ses institutions et consciente de ses responsabilités. Dans cette dynamique, l’armée de Terre s’exporte à travers des dispositifs multiples pour se faire connaître et sensibiliser. Elle tisse le lien pour que chacun puisse, à sa manière, s’engager sous différentes formes pour participer à ce destin commun et à la défense de la Nation.
La force du lien
Au-delà de sa mission de protection et de sa vocation“guerrière”, l’armée de Terre répond présente dans bien d’autres domaines. Par la diversité des dispositifs qu’elle propose, allant de la sensibilisation à l’engagement, et par son ancrage territorial, elle est un outil pour rassembler, former et transmettre. Grâce aux valeurs qu’elle incarne, elle est un acteur de la cohésion nationale, en particulier auprès des plus jeunes.
« La cohésion est le ciment d’une nation. Elle fait notre force et constitue notre meilleure défense. Elle s’apprend, se développe, se consolide », a rappelé le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées (Cema), en ouverture du forum de la cohésion nationale, le 28 mars 2025, à Paris. Outil de résilience face aux crises et signal de force face aux menaces, elle s’inscrit parmi les 3 axes d’effort identifiés dans la stratégie militaire générale du Cema.
Le général Pierre de Villiers, ancien Cema, en atteste : « On ne gagne pas à l’extérieur sans être soudés à l’intérieur ». Dans ce projet national, les armées ont un rôle à jouer, avec un effort assumé vers la jeunesse. L’armée de Terre, par ses missions, son maillage territorial et l’implication de ses soldats, contribue chaque jour à tisser ce lien républicain qu’il convient désormais de renforcer et de l’alimenter.
D’autres formes d’engagement
Enracinée sur l’ensemble du territoire avec une centaine de garnisons, l’armée de Terre entretient un lien continu avec les acteurs locaux et le milieu éducatif. Mais les défis demeurent. Pour le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre (Cemat), il s’agit désormais de « construire un bouquet d’offres », capable de répondre à la diversité des attentes et des profils.
Il plaide pour un modèle repensé, fondé sur « l’hybridité » : autrement dit, il souhaite encourager d’autres formes d’engagement, au-delà du seul service d’active, à l’image de la réserve opérationnelle, amenée à monter en puissance avec le cap d’1 réserviste pour 2 militaires d’active d’ici à 2035 ; mais aussi renforcer les capacités de mobilisation en cas de crise (comme les catastrophes naturelles), à travers le service militaire adapté (SMA) en Outre-mer, le service militaire volontaire en métropole ou lors d’évènements nationaux (Jeux olympiques et paralympiques de Paris), à l’aide des contrats volontaires de l’armée de Terre.
Pour toucher la jeunesse éloignée de l’uniforme, l’offre doit s’adapter aux réalités locales et investir dans les “déserts militaires”, indispensable afin d’irriguer la Nation dans toute sa diversité.
Une division “cohésion nationale” de l’état-major des armées a été créée à l’été 2023 pour porter les sujets qui contribuent au renforcement du lien entre les armées et la société civile, en particulier la réserve et la jeunesse.
Élargir le contact
Réaffirmer la cohésion nationale, c’est aussi donner confiance à une jeunesse qui a « soif de sens, d’avenir et d’autorité », assure Pierre de Villiers. La Journée défense et citoyenneté (JDC) rénovée, rassemblant près de 800 000 jeunes par an, recentrera davantage le lien entre cette population et les armées. Elle propose des ateliers allant de la sensibilisation au recrutement.
L’armée de Terre s’appuie également sur des dispositifs éprouvés : classes de défense, partenariats avec les entreprises, actions mémorielles. Elle multiplie les initiatives pour élargir la “surface de contact” avec la société. Comme l’a souligné l’ancien Cema, pendant le forum, « l’unité nationale passe par une vision à long terme, un leadership courageux et une politique de l’espérance ».
Une ambition reposant sur 3 exigences selon lui : l’humanité face à l’individualisme, l’unité dans la diversité, et l’espérance face au découragement. Autant de principes que l’armée de Terre saura porter. « Les Armées en ont la légitimité, la volonté et les moyens », complète-t-il.
La JDC, un rite de passage
Passage incontournable instauré suite à la suspension service militaire pour les 16-25 ans, la journée Défense et Citoyenneté a pour objectif de créer le lien avec les armées. Si auparavant elle constituait la dernière étape du parcours citoyen, elle se veut aujourd’hui en être le commencement. Au 35e régiment d’infanterie de Belfort, une centaine de participants a découvert le modèle “nouvelle génération”.
À Belfort, ce mardi 6 mai, la chaleur estivale du week-end a laissé place à des températures dignes d’un mois de mars. Dans la caserne Maud’huy du 35e régiment d’infanterie (35e RI), une centaine de jeunes transis sont rassemblés pour les couleurs. Face à eux, un homme en civil entonne le chant de La Marseillaise. Il est suivi par les trois-quarts présents, dans un murmure pour certains, dans le silence pour d’autres.
Âgés pour la plupart de 16 à 18 ans, ils sont convoqués à la journée Défense et Citoyenneté (JDC), un rendez-vous obligatoire de leur classe d’âge. Cette séquence fait partie du format “nouvelle génération”, bientôt déployé sur l’ensemble du territoire national et outremer.
La JDC brasse une population venue de tous les horizons et c’est bien l’objectif : « Toucher l’ensemble de cette classe d’âge jusque dans les “déserts militaires” », indique le colonel Thibault, chargé de mission à la Direction du service national et de la jeunesse. Permettre à l’adolescent d’interagir avec les militaires, l’amener à se questionner sur le rôle qu’il pourrait tenir dans son pays et à travers quel engagement, font partie des points ayant alimenté les réflexions dès juillet 2024. « Le contexte a changé, la guerre est aux portes de l’Europe. Il fallait recentrer le programme autour des Armées », insiste-t-il.
De potentiels candidats
Testée depuis janvier 2025 avec des jeunes du service militaire volontaire (SMV) ou des préparations militaires, la JDC rénovée propose un contenu repensé, divisé en 7 temps forts. Des ateliers ludiques et dynamiques sont proposés pour mieux capter l’attention et créer l’adhésion. Léana, 17 ans, avoue s’être attendue à « rester assise devant des discours et des PowerPoint ». Elle se dit agréablement surprise par le format participatif, « comme une journée portes ouvertes ».
Pour les armées, la JDC offre un premier contact avec de potentiels candidats à l’engagement, qu’il concerne le monde de la défense (de carrière, réserviste ou civil) ou non. Elle prépare aussi le terrain à d’autres dispositifs comme les lycées militaires, le SMV ou adapté. Les animateurs – personnel d’active ou de réserve issus des 3 armées et de la gendarmerie –
ont un rôle essentiel à jouer.
Le caporal-chef de première classe Élodie, du régiment de marche du Tchad, familière de l’ancienne version, anime sa première JDC rénovée. « Le rythme est plus soutenu mais selon l’investissement qu’on y met, on peut créer davantage de liens avec les jeunes », expose-t-elle. Elle a d’ailleurs tenu à faire déjeuner son groupe à l’extérieur, malgré la météo : « C’est aussi cela, partager le quotidien d’un soldat ».
Vitrine et levier
Forte de son maillage territorial, l’armée de Terre représente un tiers des sites d’accueil de la JDC, la plaçant comme l’un des piliers de ce dispositif rénové. Elle met à disposition ses régiments, ses moyens logistiques et ses animateurs, contribuant ainsi activement à la diffusion de l’esprit de défense.
À la fois vitrine et levier, la JDC est au centre de la stratégie de contact des armées avec la jeunesse, pour faire connaître leurs missions, leurs valeurs et les opportunités. L’enjeu est double : sensibiliser et, pour les plus motivés, initier un parcours vers l’engagement. Une application mobile dédiée est en cours de développement, pour accompagner les jeunes jusqu’à leurs 25 ans, leur fournir des ressources et les guider.
Le régiment salvateur
À bout de souffle après une enfance difficile, Emma a découvert le régiment du service militaire volontaire. En un an, ce programme qui a permis de se reconstruire et de reprendre confiance en elle. Sa carrière professionnelle amorcée, la jeune femme au mental d’acier entame une nouvelle vie.
C’est avec sérénité qu’Emma parle de son enfance aujourd’hui. Difficile d’imaginer les terribles expériences qu’a vécues cette jeune femme de seulement 19 ans. « Actuellement, je suis en paix avec moi-même, mais cela n’a pas toujours été le cas »,
raconte-t-elle. Maltraitée par son beau-père et harcelée à l’école, elle a beaucoup souffert. « J’étais petite, je ne me rendais pas compte à quel point c’était grave. J’en ai payé le prix plus tard. »
Les années d’enfance, ont été, pour elle, synonymes de peur, de solitude et d’humiliation. Perdue, le lycée se passait mal. « J’ai effectué ma journée d’appel en février 2023 et j’ai découvert l’existence du RSMV », se remémore-t-elle. Ce fut un déclic, elle qui avait toujours été intéressée par le monde militaire, son oncle et son cousin appartenant à l’armée de Terre. Le 16 mai de la même année, elle participe à la journée de découverte de l’établissement.
Convaincue que son avenir se trouve là, elle arrête les cours et se prépare à fond pour intégrer le RSMV. Son moral remonte et elle se transforme physiquement. « J’étais très excitée mais j’avais aussi très peur, livre-t-elle. Mais j’étais convaincue que j’en avais besoin plus que tout. »
Tirer vers le haut
Le 5 février 2024, à 18 ans, Emma entre officiellement au 2e RSMV de Brétigny sur Orge. « Je me rappellerais toujours de ma
première journée, dit-elle, souriante. J’étais impatiente mais je ne savais pas si j’allais y arriver. » Le lendemain, elle revêt le treillis et perçoit l’intégralité de son paquetage. Les activités commencent. Du parcours d’obstacles aux salles de classe en passant par les terrains, « je ne pensais pas être capable d’autant ! », se souvient-elle. Entourée d’autres personnes en difficulté, elle repousse ses limites. « Dans ma section on était tous frères, je n’avais jamais ressenti cela », raconte-t-elle.
Pendant les moments difficiles, elle apprend à gérer ses émotions. Pendant les moments de cohésion, elle tisse des liens forts. Les instructeurs, toujours présents pour la faire progresser, l’ont beaucoup aidée. « Je suis venue chercher le strict minimum et je suis repartie avec tellement plus. » Salvateur, le RSMV transforme sa vie et sa vision d’elle-même. Si la jeune femme compte parfaire son expérience dans le civil pendant quelques années avant de s’engager dans l’armée de Terre, chaque appel du régiment lui donne le sourire.
Orange is the new green
S’engager sous l’uniforme même quelques jours par an, c’est possible. La réserve opérationnelle permet à des citoyens de consacrer une partie de leur temps à servir le pays tout en poursuivant leur vie professionnelle. Dans ce dispositif, certaines entreprises jouent un rôle clé comme Orange, engagée depuis 2006 aux côtés des Armées.
Alexis de Valence a 2 vies. L’une à la Direction Orange Ile-de-France, où il est cadre, l’autre sous l’uniforme, comme commandant de réserve dans l’armée de Terre affecté à l’École supérieure des officiers de réserve. Depuis près de 25 ans, il incarne ce lien entre civils et militaires. « Donner la possibilité, à ceux qui le souhaitent, de participer à la sécurité du pays, fait écho à la dimension citoyenne du groupe », développe-t-il. Son entreprise est l’une des premières à avoir signé 2 conventions avec le ministère des Armées.
La première facilite l’engagement de ses salariés, accordant 15 jours d’absence rémunérée (bientôt 20). La seconde concerne l’accueil de blessés en reconversion, avec l’appui de Défense Mobilité. Un guide du management en entreprise des militaires blessés a d’ailleurs été coproduit avec le MEDEF. « Cela ne s’est fait nulle part ailleurs », confirme Alexis, également référent Garde nationale. Plus de 200 salariés sont aujourd’hui réservistes et près de 150 sapeurs-pompiers volontaires au sein du groupe Orange.
« Susciter des vocations »
La réserve opérationnelle n’est pas une force d’appoint : elle est un vivier d’expertise. Dans le domaine de la cyber sécurité, au croisement des enjeux militaires et économiques, l’entreprise est un acteur clé. Chez Orange Cyberdéfense, elle attire de jeunes profils experts qui rejoignent la réserve pour mettre leurs compétences au service de la France. L’âge moyen avoisine les 33 ans. « Protéger les réseaux exige une culture d’anticipation. Nos collaborateurs engagés dans la réserve apporte une vision précieuse des enjeux de sécurité globale », explique Hugues Foulon, directeur général d’Orange Cyberdéfense.
Maintien du salaire, mobilité interne, variété des missions : l’environnement de l’entreprise est favorable à cet engagement. La complémentarité avec les Armées a été renforcée par une expérimentation avec un échange poste à poste. En faisant circuler les compétences, le groupe joue un rôle actif dans la préparation des menaces actuelles et futures.
Complémentaire de la réserve opérationnelle, la réserve citoyenne permet à des Français de mettre à la disposition des autorités militaires leurs compétences et leurs réseaux sous le statut de bénévole (non rémunéré) de service publique.
« Un signal fort »
Malgré son utilité reconnue, une méconnaissance demeure autour de la réserve : « Chez Orange il est préférable de parler d’engagement citoyen sous l’uniforme », confie Alexis de Valence. Une pédagogie constante est nécessaire pour mieux faire comprendre le rôle et l’emploi des réservistes, qui ne se limite pas aux clichés, ancré dans les réalités opérationnelles visibles par la population (dispositif Sentinelle, soutien à Mayotte, sécurisation de Jeux olympiques, etc.). Passer à 20 jours de réserve par an est « un signal fort et très positif », soutient le commandant Alexis.
Pour renforcer la visibilité de ce lien avec les Armées, les réservistes et sapeurs-pompiers volontaires ont créé en 2024 l’Association des anciens combattants et réservistes d’Orange. Celle-ci participe notamment à des actions mémorielles (ravivage de la flamme à l’Arc de Triomphe) ou caritatives (don du sang, partenariat avec le Bleuet de France), portées aussi par la réserve citoyenne.
Des journées comme celle du 16 avril, rappellent l’engagement historique de l’entreprise aux côtés des Armées et cultive la mémoire commune. Les réservistes sont un pilier de la défense. Et une force pour “faire Nation” autrement. Un engagement qui s’inscrit dans l’ambition nationale d’1 réserviste pour 2 militaires d’active d’ici à 2035.
Sous le dôme de l'histoire
Au cœur de Paris et de l’Hôtel national des Invalides, le musée de l’Armée abrite près de 500 000 œuvres retraçant l’histoire militaire de notre pays. Institution scientifique, culturelle et mémorielle, il fait vivre et transmet un héritage partagé, constituant ainsi « une fabrique de conscience collective ».
Septième musée le plus fréquenté en France, avec près de 1 300 000 visiteurs par an, dont 350 000 jeunes, le musée de
l’Armée est bien plus qu’un écrin de collections : c’est un lieu vivant, ouvert à tous, « et gratuit pour tous les militaires, car ils sont ici chez eux », rappelle le général Yann Gravêthe, directeur du musée depuis un an. À l’ombre du dôme doré de l’Hôtel des Invalides, il incarne un aspect essentiel de l’histoire nationale, car, comme le disait le général de Gaulle, « La France s’est faite à coup d’épée ».
Sur plus de 15 000 m², des collections permanentes authentiques et des expositions temporaires en font revivre les grands moments. Classé parmi les monuments les plus cités par les Français, il a récemment vu sa notoriété mondiale renforcée par les Jeux olympiques. En effet, les épreuves de tir à l’arc se sont déroulées sur l’esplanade. Mais sa vocation dépasse le cadre patrimonial. Site emblématique des cérémonies officielles, il est l’écrin où se rendent les hommages aux soldats morts pour la France.
« Un lieu qui parle »
« Ce qui me frappe le plus, c’est que chaque visiteur, Français ou étranger, retrouve ici une part de son histoire à travers un objet qui le touche », commente le général. Le gardien du tombeau de Napoléon a pour mission de préserver, d’enrichir le patrimoine militaire et de le valoriser auprès du public. À travers lui, il contribue à développer l’esprit de défense – une mission inscrite dans le code de Défense –, à perpétuer la mémoire et par extension à éveiller de potentielles vocations. « C’est un lieu qui parle à toute une Nation », soutient le général, car il montre un socle historique et commun à tous les Français.
Il révèle aussi une soif de connaissances de la part des visiteurs, dans une société française secouée tant par les questionnements intérieurs que par les crises extérieures. De nouvelles galeries, prévues d’ici à 2030, traiteront de l’engagement militaire aujourd’hui. Au-delà d’un musée, il s’agit aussi d’un espace d’art et de culture. Tout au long de l’année, une saison musicale complète, des projections de films et des expositions photos sont organisées dans l’enceinte des Invalides, contribuant à faire vivre le site.
« Transmettre l’esprit de défense »
Les temps changent et plus que jamais, le musée de l’Armée affirme sa volonté de s’adresser aux jeunes générations avec un service dédié. En 2024, il a accueilli 80 000 scolaires et multiplie les initiatives : week-ends famille, ateliers pédagogiques et jeux, ou encore l’opération « Révise ton bac », grâce un programme d’histoire décliné au milieu des collections.
Il sert aussi d’outil à l’Éducation nationale, comme partenaire. Par exemple, depuis 2024, l’académie de Versailles organise une journée d’enseignement civique et moral en s’appuyant sur les collections. En retraçant les grands mouvements historiques à travers le prisme du fait militaire et de l’engagement, il invite les jeunes à s’approprier leur histoire et à comprendre ce que signifie servir.
Le général en est sûr : « Plus la fréquentation augmente, plus notre capacité à transmettre l’esprit de défense progresse ». Loin d’être figé, le musée s’inscrit dans une dynamique tournée vers l’avenir, pour que chacun puisse, à sa façon, s’approprier son héritage.