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Des soldats en terre mélanésienne

Texte : CNE Eugénie LALLEMENT

Publié le : 28/11/2023 - Mis à jour le : 23/01/2024. | pictogramme timer Temps de lecture : 15 minutes

Une section du 2e régiment étranger de parachutistes en mission courte durée au régiment d’infanterie de Marine du Pacifique de Nouvelle-Calédonie, a effectué une tournée en province en septembre. Les soldats se sont déplacés à Hienghène, au nord-est de l’île principale où ils ont réalisé des travaux au profit de la tribu Lewaarap.

Dans la commune de Hienghène, à cinq heures de route au nord-est de Nouméa, le lieutenant Bertrand, chef de section au 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP), fait face au chef de la tribu Lewaarap. Posée au sol, une étoffe appelée ʺmanouʺ, symbolise une forme de droit de passage. « Par ce geste coutumier, nous vous demandons humblement la permission de séjourner ici », formule l’officier en désignant le tissu. Derrière lui, les légionnaires attendent. Le chef s’approche du présent et pose sa main dessus : la demande est acceptée.

La coutume est un rite incontournable permettant d’entrer et de circuler librement au sein d’une tribu kanake. « C’est une marque de respect envers notre hôte, son clan, ses terres et ses traditions », explique l’officier. En mission de courte durée au régiment d’infanterie de Marine du Pacifique de Nouvelle-Calédonie (RIMaP-NC), sa section et lui effectuent une tournée en province (TeP) en cette mi-septembre.

Environ 40 TeP sont conduites chaque année par le RIMAP-NC. Cette mission, propre à ce territoire d’outre-mer aux 342 tribus, a pour but de maintenir les relations entre les militaires et le monde mélanésien. Les soldats réalisent généralement des travaux légers et de la maçonnerie de base au profit de la population. C’est donc ici, dans cette province au nord de la côte Est, quelque peu oubliée malgré la réputation de ses falaises de calcaire noir, que les soldats passeront les prochains jours en immersion avec les habitants.

« L’aide des militaires nous est précieuse »

Mardi 12 septembre, 5 h 40. Alors que les coqs chantent déjà depuis plusieurs heures, les légionnaires se réveillent. Le campement a été installé à l’entrée du village, sous un préau, dans l’espace de vie commun. Le sous-officier adjoint (SOA), le sergent-chef Hunor, rassemble la section à l’extérieur pour annoncer la composition des groupes qui effectueront les travaux du jour : récupération de graviers et de pierres pour la création d’une dalle de béton, découpe de bambous, débroussaillage.

Des tâches que les habitants peinent à réaliser seuls. « Nos jeunes sont partis à Nouméa ou en métropole pour travailler. Le mois prochain nous célébrons un mariage coutumier et beaucoup de choses restent à faire pour pouvoir accueillir tout le monde. L’aide des militaires nous est précieuse », précise le chef.

Gants enfilés, chapeaux de brousse vissés sur la tête, un premier groupe s’active dans une forêt de bambous. Équipés de machettes, les soldats découpent des tronçons qui serviront à la future cuisine extérieure. Ils se fondent dans le décor d’un vert monochrome. La saison fraîche touche à sa fin. Même à l’ombre, les températures montent vite.

« Avec mes camarades, nous construisons une table, un banc et un plan de travail », explique le légionnaire de 1re classe Ricardo. À leurs côtés, trois hommes de la tribu, Gema, Georgy et Christopher, travaillent de concert. Peu nombreux, ils apprécient la présence des militaires, tant pour leur appui que pour les échanges.

« Partager nos cultures respectives »

Partout dans le village, le va-et-vient des camions de transport militaires, le bruit des débroussailleuses et des tronçonneuses témoigne de la productivité ambiante. Les légionnaires s’activent avec efficacité. Quand l’heure du déjeuner approche, ils se rassemblent tous sous le préau, autour d’une grande table. Les repas sont pris en commun. Chaque jour, trois ʺbérets vertsʺ sont détachés aux cuisines qui font face au bivouac, pour aider les femmes de la tribu à préparer les repas, dresser la table et débarrasser.

« L’odeur de la cuisine, c’est une bonne motivation pour travailler », exprime Ricardo avec le sourire. L’après-midi est réservé aux activités de cohésion, comme des tournois de sport collectif ou la découverte de la région. Au retour de l’école, les enfants retrouvent avec enthousiasme les nouveaux venus. Avec toute la curiosité qui les caractérise, la vingtaine de filles et de garçons s’égayent au milieu des uniformes.

Pour Ricardo et ses camarades, l’activité du jour sera la pêche au filet dans la rivière de Hienghène, guidée par les trois Mélanésiens rencontrés le matin. « Je suis Chilien d’origine et légionnaire, c’est intéressant de découvrir et partager nos cultures respectives. L’ambiance est vraiment bonne », affirme-t-il. Il est 17 h 30, le soleil décline déjà dans l’hémisphère sud.

« Des moments privilégiés »

Réunis sur une table en bois à l’extérieur, le lieutenant Bertrand, son SOA et le chef se concertent. « Chaque soir, nous faisons un bilan de la journée écoulée et déterminons les activités du lendemain », précise l’officier. En parallèle de la TeP, le chef de section a un rôle de prise de contact avec les autorités locales (mairie, gendarmerie). Le lieutenant s’est ainsi rendu dans un collège pour présenter l’armée de Terre et ses spécificités, répondant si besoin, aux interrogations concernant le régiment du service militaire adapté. « Les élèves que j’ai rencontrés ont posé plusieurs questions, ils étaient plutôt curieux et intéressés », ajoute-t-il.

Au-delà de ces aspects, la TeP est aussi l’occasion pour lui de mieux connaître ses hommes. « Cette activité est la première que je fais avec ma section au complet depuis ma prise de commandement. Se déconnecter de la compagnie pendant quelques jours permet de passer des moments privilégiés entre nous. Pour moi c’est un point très positif. »

Un cycle de visite de 5 ans

Gérées par la cellule brousse du RIMAP-NC, les tournées s’organisent au quartier Broche, à Plum. Unique en son genre, elle se compose de 5 personnes : trois militaires en mission de longue durée et deux civils en poste permanent, appelés ʺscoutsʺ : Hippolyte et Patrice sont d’anciens militaires d’active. Ils ont pour rôle d’établir le contact entre les soldats et le milieu coutumier, c’est-à-dire chefs et tribus kanakes du ʺcaillou ʺ et des îles Loyauté. De vrais atouts pour le régiment, car tous deux sont d’origine mélanésienne.

Le caporal-chef Joachim est quant à lui plus particulièrement chargé de Wallis et Futuna. Tout au long de l’année, ils se déplacent sur les différents territoires, à la rencontre des coutumiers. « En premier lieu, nous rencontrons les autorités sur place pour déterminer leur souhait de recevoir ou non des militaires du RIMaP-NC. S’ils sont d’accord, nous prenons des photos des travaux à réaliser et des espaces de vie pour monter le dossier qui sera présenté au chef de section. Une fois la TeP terminée, nous réalisons une synthèse des missions effectuées », explique Hippolyte. En poste depuis dix ans, ce tout premier scout de la cellule facilite les contacts.

En principe, une tribu est visitée tous les cinq ans environ mais plusieurs raisons peuvent entraver la visite : l’absence de chef, une capacité d’accueil réduite, un accès difficile. En revanche, chaque section du RIMaP-NC part en TeP au moins une fois lors de son mandat. Près de quarante tournées sont organisées chaque année. Si la pandémie a réduit le nombre de tournées ces trois dernières années, celui-ci remonte petit à petit.

Jeudi 14 septembre, 15 h. La section s’apprête à quitter la tribu, un jour plus tôt que prévu. En cause, une alerte rouge météorologique déclenchée dans la nuit. « Avec le risque accru d’inondation, le commandement nous a ordonné de rentrer dès aujourd’hui pour ne pas risquer de rester bloqués », explique le lieutenant Bertrand. La cellule brousse, qui se déplace habituellement le jeudi pour faire le bilan de la tournée et présenter une coutume de remerciements auprès du chef présent, a dû elle aussi annuler sa venue. Le bilan se fera par téléphone cette fois-ci.

Malgré la déception du départ dans l’urgence, les légionnaires ont la sensation d’avoir passé bien plus que quatre jours dans la tribu Lewaarap. Dans cette France des Antipodes ils auront appris à mieux connaître la population mélanésienne et donc, au besoin, à mieux la défendre.

Le saviez-vous ?

La tribu de Lewaarap compte environ 380 personnes dont 23 enfants. Elle appartient à la commune de Hienghène du grand district de Bouarat.

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