Les postes de commandement au banc d’essai
Texte : Capitaine Eugénie Lallement
Publié le : 07/05/2025.
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La guerre en Ukraine a révélé la vulnérabilité des postes de commandement devenus des cibles privilégiées. Face à des adversaires dotés de capacités de détection et de frappe accrues, être indécelable est un enjeu de survie. Pour s'adapter, les brigades expérimentent de nouveaux systèmes allégés, alliant discrétion, mobilité et protection.
Les enseignements de la guerre en Ukraine remettent en question les modèles traditionnels des postes de commandement (PC) et leur protection. Ces structures trop massives, émettent des signaux électromagnétiques facilement détectables, les rendant vulnérables à des frappes ciblées, fragilisant leur durée de vie.
« Avec les évolutions technologiques des années 1990 à 2000, le volume de données échangées s’est beaucoup accru dans tous les domaines. Les centres d’opération sont devenus surdimensionnés, nécessitant une adaptation », expose le capitaine Antoine, au bureau synthèse des Retex du Commandement du combat futur (CCF). Pour répondre à cette problématique, ce dernier a défini 4 principes pour garantir la “survivabilité” des PC en haute intensité : discrétion, mobilité, protection et résilience.
Les brigades ont pour mission de proposer et tester de nouvelles configurations. « Avec la volonté de redonner de l’autonomie aux brigades, la logique n’est plus de leur imposer la manière de faire, mais de leur donner des outils et de les accompagner dans leur démarche », précise l’officier. Pour cela, elles s’appuient notamment sur La notice provisoire de mise en œuvre du PC de brigade interarmes en opération, éditée en juin 2022.
L’hybridation des réseaux
Parmi les pistes proposées dans ce document figurent le PC "miroir" ou "hybride". La 7e brigade blindée (7e BB) a expérimenté le PC ʺdispersé" en trois points lors de l’exercice Dacian Fall 24 et poursuivra pour Dacian Spring 25: 1 PC principal à l’arrière, en lien avec l’échelon divisionnaire, est chargé de la planification, tandis que 2 PC avant identiques assurent la conduite des opérations.
« Le principe repose sur une logique de bascule entre les deux PC avant, toutes les 12 heures au maximum. Cette alternance permet de commander et de rester en mouvement tout en assurant stabilité et continuité opérationnelle en cas de détection ou de neutralisation de l’un d’eux », éclaire le colonel Laurent, chef d’état-major de la 7e BB. Ce modèle place le chef au plus près du terrain pour « mieux le percevoir ».
Dans un environnement électromagnétique où les brouillages et cyberattaques paralysent les communications, l’hybridation des réseaux s’impose. « Intégrer des moyens de transmissions variés tels que les réseaux satellitaires, radios ou des boîtiers 4G, évite de dépendre d’un seul système et de brouiller les pistes », souligne le chef de bataillon Nicolas, au bureau systèmes d’information et de communication (SIC).
En effet, l’utilisation des réseaux 4G facilite la dissimulation en zone (péri)urbaine, là où les fréquences radio sont trop détectables. Dans un contexte de combat symétrique marqué par la menace 3D, la brigade explore aussi l’apport de l’intelligence artificielle et des drones et réfléchit à celui de la robotique.
Des installations temporaires
Au-delà des défis technologiques, la mutation des PC s’accompagne d’une nécessaire diminution des effectifs humains et matériels sur le terrain, elle-même imposant une polyvalence accrue du personnel. « La 7e BB travaille sur un PC avant composé de deux "véhicules postes de commandement", un appui artillerie et logistique, pour un total d’environ quinze personnes », détaille le colonel.
Dans cette réorganisation, le rôle des transmetteurs, capables d’exploiter les systèmes en s’adaptant à des installations plus mobiles et temporaires, demeure central. « Les tests en cours dans les différentes brigades convergeront à terme vers une formation unique sur les moyens d’hybridation », atteste le chef de bataillon Nicolas.
Avec ces adaptations, l’armée de Terre française amorce une transformation ambitieuse de ses PC tactiques pour garantir leur survie. À terme, la réussite dépendra aussi de son interopérabilité avec ses partenaires au sein d’une division multinationale.