Hommes de foi dans l’armée de Terre
Texte : Xavier Boniface, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie Jules Verne
Publié le : 15/12/2023 - Mis à jour le : 16/05/2024. | Temps de lecture : 5 minutes
Hommes de foi ou de Dieu, encore surnommés Padre, successeurs des chapelains du Moyen Âge, les aumôniers sont des ministres des cultes servant dans l’armée. Leur place et leur rôle ont été confirmés par une loi en 1880, puis par la séparation des Églises et de l’État en 1905. Les aumôniers s’inscrivent ainsi dans le système de laïcité qui repose sur l’équilibre entre la neutralité de l’État à l’égard des religions et la liberté de croyance des citoyens.
Les aumôniers ont notamment été institués pour garantir la liberté religieuse aux soldats. On les a vu participer à tous les conflits depuis le début du XXe siècle et à la vie de caserne en temps de paix à partir des années 1950. Différentes religions sont représentées : prêtres, pasteurs et rabbins, pour les anciens cultes concordataires ; imams, institués en 2005 ; pope pour la Légion étrangère à plusieurs époques. Leur répartition dépend de leur nombre : jusqu’à la guerre d’Algérie, il y a un catholique par brigade, voire par régiment, et un protestant et un juif par corps d’armée, voire par division.
Ces hommes de Dieu sont à la croisée du religieux et du militaire. Administrés jusqu’en 2011 par le service de santé des armées, d’où leur brassard à la croix rouge, ils sont désormais rattachés au commissariat des armées. L’aumônerie s’est par ailleurs structurée et militarisée. Les aumôniers étaient présents, mais leur service ne s’est vraiment organisé qu’à partir de la Seconde Guerre mondiale. À l’origine, il n’était pas prévu d’uniforme pour ces hommes qui n’ont « ni rang, ni grade » dans l’armée.
Les prêtres de 1914-1918 conservaient leur soutane, panachée d’attributs militaires (ceinturon, capote, casque) ; les pasteurs revêtaient plutôt une tenue d’officier de santé mais sans insignes. Tous avaient néanmoins un insigne pectoral officiel, une croix pour les chrétiens, les tables de la loi pour les juifs. Puis l’uniforme s’est imposé au cours des années 1940, du fait d’une plus grande intégration dans l’armée, du modèle anglo-américain et de l’évolution des formes de combat : le premier aumônier parachutiste, l’abbé Malfoy, est nommé en 1943.
Célébrer le culte
Mais l’aumônerie, ce sont aussi les milliers de ministres des cultes appelés sous les drapeaux lors des mobilisations de 1914 et de 1939. Tout en conservant leur fonction militaire et leur uniforme, ces hommes ont aidé bénévolement les aumôniers officiels en exerçant un rôle religieux une partie de leur temps. La mission première des aumôniers est de célébrer le culte. Les offices sur le front se déroulent dans les lieux les plus divers. Faute d’églises disponibles, des prêtres disent ainsi la messe dans des bois, des cagnas de tranchées, sur le capot d’une jeep ou sous une tente.
Ils administrent la confession et l’extrême-onction. Les rabbins et les imams veillent au respect des prescriptions religieuses. Le prolongement de ce rôle cultuel est la célébration des obsèques de soldats, à l’arrière du front en 1914-1918, à cause des pertes énormes et des conditions difficiles des premières lignes. Elles donnent parfois lieu à des cérémonies inter-religieuses quand des défunts sont de différentes confessions, comme en Lorraine en 1914 ou à Dunkerque en 1940. Dans les unités de tirailleurs, de pieux musulmans récitent la prière des morts en l’absence d’imams.
Maintenir le moral des combattants
Les aumôniers exercent aussi un rôle humanitaire en aidant au ramassage des blessés et des morts, en veillant les mourants, en visitant les ambulances et les postes de secours où ils se tiennent le plus souvent à l’heure du combat. Enfin, ils mènent une action militaire indirecte en concourant au maintien du moral des combattants, par leurs visites en ligne, leur écoute, leur distribution de petits cadeaux, voire par leurs prédications.
Les aumôniers ont une fonction, aujourd’hui règlementaire, de conseillers du commandement pour le moral. Il est en revanche rarissime que les aumôniers prennent une part active aux opérations, même si certains accompagnent les premières vagues d’assaut ou les unités les plus exposées pour encourager les soldats. Mais la présence de ces hommes de foi témoigne de l’importance du facteur spirituel et moral pour les soldats confrontés au péril de mort.