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L’innovation à l’heure de la numérisation

Texte : LTN Eugénie Lallement

Publié le : 20/05/2022 - Mis à jour le : 24/06/2022.

L’innovation vise à garantir la supériorité opérationnelle par de nombreuses approches, dont la transformation digitale. Elle représente une opportunité et un challenge qui concerne aussi bien la maintenance des matériels, que la préparation opérationnelle, sans oublier le quotidien des soldats. Si de nombreuses idées naissent du terrain, d’autres sont captées au contact du monde civil. Des laboratoires dédiés, comme le MCO-Terre Lab ou encore le Battle Lab Terre, cherchent à les développer pour répondre aux besoins des forces terrestres.

L’innovation ouverte

L’innovation ouverte dans l’armée de Terre poursuit son avancée. Elle tire son inspiration des projets issus du secteur civil et militaire. Plusieurs entités aux rôles complémentaires, comme le Battle Lab Terre et le MCO-Terre Lab, les recueillent et les développent.

L’innovation planifiée se distingue de l’innovation ouverte. Les deux sont indispensables et complémentaires. La première est adaptée au long terme et à la maturation des technologies, telle que la dissuasion nucléaire, le camouflage adaptatif ou la maîtrise du spectre électromagnétique par les drones. Elle découle de l’analyse du bureau Plans de l’état-major de l’armée de Terre, en lien avec la Direction générale de l’armement et l’état-major des armées, avec qui il conçoit les programmes d’armement tels que Scorpion.

L’innovation ouverte permet l’intégration et l’adaptation rapide de technologies et de produits qui répondent à des besoins opérationnels. Ils peuvent soit être issus du secteur civil, on parle alors d’innovation d’usage, soit provenir des soldats. Il s’agit alors d’innovation participative.

Labelliser un projet

Chaque projet, dont la naissance est appelée phase d’idéation, est étudié et approuvé ou non par l’officier général en charge de la numérisation et de la coordination de l’innovation, le général de brigade Claude Chary, lors du comité de coordination mensuel. S’il est validé, un projet entre alors en phase de développement.
Le général rédige une lettre de soutien adressée à l’Agence de l’innovation de défense (AID) qui peut choisir de le labelliser à son niveau avec une prise en charge financière, managériale et technique.

Elle peut décider de déléguer la labellisation à l’armée de Terre, avec l’aide d’un fonds de 500 000 euros par an alloué à l’état-major de l’armée de Terre. Elle reste alors responsable du suivi de l’innovation et de l’utilisation de ce budget. L’AID peut aussi orienter le projet vers sa cellule innovation participative qui, après étude du dossier, peut apporter un soutien financier.

Le saviez-vous ?

L’idéation est le premier stade du processus d’innovation, suivi du développement, de l’expérimentation, du déploiement et de la normalisation.

Au service de la maintenance

Entité dédiée à l’innovation dans le domaine du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, le MCO-Terre Lab œuvre dans l’ensemble des domaines de la maintenance, telles que la numérisation, la maintenance prévisionnelle ou la fabrication additive.
Cette entité mène chaque année près de quarante projets pour faciliter le quotidien des maintenanciers. Créée par la Simmt1 en 2019, elle se distingue par des innovations ambitieuses. TIM s’est intéressé à trois projets orientés vers le soutien des forces.

ICAR, un terminal mobile connecté

Icar, l’interface de connexion automatique pour le recueil de données technico-logistiques des matériels terrestres, a été présentée lors du “digital forum innovation défense” de 2020. Ce système composé de smartphones et de tablettes connectés et sécurisés fait partie des innovations déployées dans les unités.

Après une phase d’expérimentation au 501e régiment de chars de combat en 2017, son déploiement intégral doit se terminer d’ici à la fin de l’année, avec près de 7 000 terminaux déjà livrés dans les différentes unités, comme dans les écoles de formation ou encore les ateliers régimentaires. Véritable outil au service des utilisateurs, cette tablette et ce smartphone mobiles connectés offrent un accès immédiat aux informations relatives à l’équipement, du plus petit armement au Griffon, grâce au scan de l’étiquette RFID et/ou du code-barre et l’accès à des fonctionnalités numériques toujours plus nombreuses.

Outre le fait de faciliter le quotidien des opérateurs et de gagner des délais de traitement de dossiers techniques, le terminal permet une meilleure traçabilité des pièces, des opérations de maintenance, des profils et statuts des équipements, en s’appuyant sur une fiabilisation accrue des données numérisées.

DEDAL, la réalité augmentée

Au sein du 6e régiment du matériel, détachement de Gresswiller et du 8e régiment du matériel, (8e RMAT) détachement de Versailles, le système Dedal est testé dans les ateliers depuis 2020. Cette innovation met à disposition du maintenancier dans sa travée, une borne mobile à écran tactile, sur laquelle saisir en temps réel les actes de maintenance et consulter la documentation technique. Le chef d’atelier peut, quant à lui, suivre la production et la planification grâce à un écran d’affichage relié à l’ensemble des bornes.

Il est prévu que mille d’entre elles et deux cents écrans soient achetés au profit des différentes unités entre fin 2022 et 2027. Le brigadier Mathieu, mécanicien au 8e RMAT, découvre depuis peu ce nouvel outil : « Avec la borne, je visualise rapidement le statut des véhicules présents dans l’atelier et les actions à réaliser. Je peux voir la date des prochains contrôles annuels, commander des pièces et suivre leur livraison. J’ai aussi un accès direct aux fiches techniques de chaque engin, un avantage comparé aux versions papier qui finissent par s’user ou s’égarer ».

Depuis l’an dernier, la réalité augmentée s’invite à la Simmt, avec les lunettes HoloDedal. Couplées au système Dedal, elles assistent le maintenancier dans son intervention en lui donnant accès à des indications visuelles et interactives sur le matériel. Une plus-value, notamment pour les jeunes mécaniciens tout juste sortis de formation ou pour les opérations sur les derniers véhicules comme le Griffon. L’utilisation est simple, l’outil intuitif, un excellent complément à Icar. Si HoloDedal est encore en phase d’expérimentation, il reste néanmoins une promesse pour l’avenir. 

Optimus, des imprimantes 3D projetables

Parmi les innovations ouvertes au stade de l’idéation, Optimus confirme l’intérêt des travaux d’intégration de la fabrication additive. Avec son expertise déjà acquise dans l’impression 3D en polymère, le MCO-Terre Lab va encore plus loin avec ce projet : Optimus vise à projeter sur un théâtre d’opération, des imprimantes 3D capables de produire rapidement des pièces de rechange, en polymère, mais aussi en métal, plus résistant.

C’est la grande nouveauté de cette année. Le commandant Anthony, référent fabrication additive au MCO-Terre Lab, développe : « L’utilisation de la technologie 3D répond à un besoin de production à la demande, locale et flexible. Éviter de faire appel au fournisseur pour commander une pièce, permet de gagner des délais sur la disponibilité technique opérationnelle des véhicules, qui impacte directement la capacité opérationnelle des forces ».

 

Loin de se substituer aux partenaires industriels, ce procédé complète leur offre lorsque certaines pièces détachées ne sont plus fabriquées par le fournisseur d’origine ou encore, répond à un besoin impérieux sur le terrain. À travers ces projets, le MCO-Terre Lab confirme pleinement sa place dans l’écosystème innovation, au profit de la maintenance et des forces.

Virtual Map, une expérience immersive

Grâce à la réalité virtuelle, le Battle Lab Terre réinvente les méthodes de préparation opérationnelle. L’innovation Virtual Map offre une interaction nouvelle entre les acteurs d’un poste de commandement et une prise en compte inédite du terrain. Un avantage tactique.

Le succès d’une mission dépend de sa préparation. Pour concevoir une manœuvre tactique la plus réaliste possible, le Battle Lab Terre (BLT) travaille sur un projet innovant de caisse à sable immersive du futur, appelée Virtual Map. Cette expérimentation, menée avec l’Agence de l’innovation de défense, teste l’apport de la réalité virtuelle pour la préparation collective d’une mission.

Le principe est simple : les participants coiffent un masque de réalité virtuelle grand public, fréquemment utilisé par les joueurs de jeux vidéo, qui projette leurs avatars dans la salle virtuelle d’un poste de commandement, autour d’une carte topographique commune du terrain. Cette dernière, représentée en trois dimensions, peut être enrichie de photos, d’images, de sons et de documents.

Deux commandes permettent aux intervenants d’interagir grâce aux différentes fonctionnalités du programme, comme celle de déplacer les unités amies ou de marquer d’un cercle rouge, une zone d’intérêt désignant la position de l’ennemi. L’innovation offre aussi la possibilité de se retrouver projeté virtuellement à l’intérieur du terrain, avec un réalisme saisissant.

« Visualiser la zone d’action »

Fin 2020, Virtual Map a été livré à l’École d’état-major à Saumur pour être testé au niveau brigade, mais aussi au groupement d’aguerrissement montagne (GAM) et à Mailly-le-Camp au niveau compagnie et section. Les premiers retours d’expérience ont permis de confirmer l’utilité de ce projet, par exemple pour le GAM qui forme les unités de l’armée de Terre en milieu montagneux.

Le commandant Damien, adjoint de la section “veille anticipation” au BLT, précise : « L’environnement accidenté dans lequel le GAM entraîne ses stagiaires peut surprendre. Aussi, visualiser la zone d’action en relief, en amont de la mission, permet de mieux concevoir sa manœuvre et d’éviter la sidération le jour J. Se mettre à la place de l’adversaire, prendre conscience de la visibilité de son propre dispositif, être capable de réagir en cas d’imprévu, c’est une plus-value ».

Des expérimentations restent encore à réaliser pour répondre davantage aux besoins des utilisateurs. À titre d’exemple, la prochaine version du système permettra à deux postes de commandement éloignés de plusieurs kilomètres, de se retrouver dans une même salle virtuelle, pour travailler sur une opération conjointe.

Réalités virtuelle, augmentée et mixte

La réalité virtuelle isole l’utilisateur du monde qui l’entoure, à l’aide d’un casque opaque et de manettes. Sa présence est simulée sous forme d’avatars dans un environnement artificiellement généré par logiciel. Dans la réalité augmentée, l’usager voit, sur un écran (type smartphone) ou via des lunettes transparentes, le monde réel qui l’entoure ainsi que des objets virtuels. Il peut y ajouter des éléments nouveaux. La réalité mixte est une combinaison, sur écran ou
via un casque opaque, d’objets du monde réel et d’objets virtuels. Elle englobe la réalité augmentée.

Transformation numérique, le bilan

La transformation digitale au sein de l’armée de Terre est aujourd’hui à la portée des soldats. Le commandant Bruno, chef de la section transformation numérique et données, dresse un bilan des avancées dans ce domaine.

Que représente le déploiement d’e-Régiment dans le processus de transformation numérique ?

Après les expérimentations menées dans plusieurs garnisons depuis 2019, le passage à l’échelle des innovations dans le domaine numérique est lancé. Le stade de l’idéation est révolu, l’aboutissement est réel et concret. C’est le cas de l’application e-Régiment. La première étape de la campagne de déploiement initial, qui s’étendra à l’ensemble de l’armée de Terre d’ici fin juin, a débuté le 29 mars dernier au 19e régiment du génie. Une délégation de la section transformation numérique (TNUM) s’est déplacée pour assister la mise en place de l’outil auprès des différents acteurs, avant de poursuivre en avril dans quatre autres unités volontaires.

La section TNUM pilote les actions de transformation numérique de l’armée de Terre, pouvez-vous nous en dire plus ?

Au sein du bureau numérique (BNUM) du Pôle numérique et coordination de l’innovation, la section TNUM participe à la mise en place de programmes majeurs innovants comme le magasin d’applications en ligne Milistore, la tablette Intradef du cadre et le livret d’instruction virtuel élargi. Tous répondent au même besoin : simplifier le travail quotidien et le stockage des données, tout en garantissant la protection des systèmes et le respect de la réglementation européenne et nationale sur les données personnelles.

La majorité des innovations que la section traite, provient de l’outil informatique hAPPI. La section TNUM possède un budget propre pour financer les projets numériques à la main de l’officier général numérique-innovation, le général Chary.

Quelles sont les limites de cette transformation ?

La transformation numérique au sein des régiments est un atout qui se doit d’être encadré et suivi pour une maîtrise complète, notamment en termes de sécurisation des informations. C’est pourquoi la section TNUM inclut une cellule données du BNUM, chargée de garantir le contrôle stratégique de la donnée.