Scénario de crise à Wallis-et-Futuna
Texte : Adjudant-chef Anthony Thomas-Trophime
Publié le : 16/09/2025 - Mis à jour le : 24/09/2025.
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L’exercice interarmées et multinational “Croix du Sud” s’est tenu du 21 avril au 4 mai en Nouvelle Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Une première pour l’archipel. Plus de 2 000 participants de 17 nations étaient réunis autour d’un scénario de gestion de crise simulé : une intervention humanitaire d’envergure à la suite du passage d’un cyclone dévastateur.
Dans le ciel bleu du Pacifique, l’A400M entame son dernier virage. À son bord, une cinquantaine de parachutistes du régiment d’infanterie marine du Pacifique Nouvelle Calédonie (RIMAP NC) rongent leur frein. Après plus de trois heures de vol depuis l’aéroport de Tontouta, tous sont impatients de retrouver le plancher des vaches.
L’avion ralentit à l’approche de la zone de mise à terre. En liaison radio avec le cockpit, les largueurs ouvrent les portes latérales. L’écart de température entre l'intérieur et l'extérieur plonge les hommes dans un nuage de condensation. Soudain la sonnerie retentit. À ce signal, les paras s’extraient comme des diables de la carlingue lancée à 200 km/h.
Une, deux, trois secondes de chute et les voiles s’ouvrent en corolle. Suspendus dans les airs, ils n’ont pas le temps d’admirer la vue du lagon bleu turquoise. Suspentes, coupoles, volets, chacun contrôle son parachute avant d’actionner la poignée de délestage de sa gaine. Jambes serrées, genoux fléchis, ils atteignent le sol de part et d’autre de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Wallis Hihifo.
Mardi 22 avril. Le Land group 1 est en place. C’est la première fois qu’un largage de militaires français se déroule sur le territoire d’outre-mer le plus éloigné de France. Il constitue la première phase de l’exercice Croix du Sud.
Organisée du 23 avril au 4 mai par les Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC), cette onzième édition a rassemblé plus de 2000 militaires issus de 17 nations. Le scénario : porter assistance à la population de Wallis-et-Futuna, sinistrée par un cyclone dévastateur.
Pour cela, rétablir les axes et les infrastructures est la priorité pour permettre le déploiement des équipes médicales. La phase de stabilisation intervient en dernier. « Cette stratégie est similaire à ce qu’on a déjà appliqué au Vanuatu touché par un puissant séisme en décembre dernier », complète le lieutenant-colonel Walter, coordinateur de l’exercice.
« Rechercher les victimes »
L’interopérabilité interarmées, interalliés et la coordination avec les autorités civiles constituent des facteurs clés du succès. L'isolement et l'éloignement géographique d’Uvéa, la projection des forces par voie aérienne et maritime représentent un défi logistique. Étape essentielle avant la projection des forces et des moyens, l’opération aéroportée sécurise et assure la praticabilité de la piste.
L’action a été initiée en amont par le commandant Nicolas, membre du Groupe d’intervention de Pacifique (PRG). Premier arrivé sur les lieux, l’officier a été largué à 3 200 mètres d’altitude en tandem avec les chuteurs du RIMAP-NC. « Ma mission est de prendre contact avec les autorités préfectorales et les instances locales comme par exemple l’EEWF (eau et électricité de Nouméa) afin de déterminer les besoins que je communique ensuite à la cellule de crise de Nouméa », explique le commandant.
Une fois le pont aérien établi, les renforts et les matériels affluent par des norias d’avions américains, australiens et français depuis l’aéroport de Tontouta. Jeudi 24 avril, non loin du taxiway, un drone SMDR décolle depuis sa rampe de lancement avant de disparaître dans le ciel. Le sergent-chef Gérald, chef d’équipe patrouille légère et de recherche par image, est aux commandes pour une mission de reconnaissance.
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Destinée à renseigner dans la profondeur, cette capacité, habituellement employée sur les opérations militaires, est ici indispensable pour évaluer les dégâts. « La mission reste la même. Seul le contexte change », précise le télépilote. Avec une autonomie de deux heures trente, son drone couvre l’intégralité de la surface de l’île.
Équipé d’une caméra infrarouge, rien ne lui échappe même dans ces conditions climatiques extrêmes. « Cela offre un gain de temps considérable pour repérer les axes routiers condamnés, les bâtiments détruits ou encore rechercher d’éventuelles victimes. Les images sont diffusées en temps réel au Centre de commandement des opérations terrestres qui peut ensuite orienter les forces sur les sites identifiés. »
« Tous solidaires »
À quelques kilomètres de là, dans les hauteurs du village d’Alélé, les sapeurs du 31e régiment du génie (31e RG), renforcés d’un groupe de soldats papous, sont à pied d’œuvre sur une propriété privée. Si le scénario est fictif, nos soldats déployés mènent néanmoins des actions concrètes au profit de la population.
Équipé de tronçonneuses et de machettes, les hommes aménagent une zone de regroupement, un lieu de refuge pour les habitants en cas de tsunami. Une dizaine d’arbres ont été tronçonnés dont certains menaçaient de tomber sur les lignes électriques en cas de vents violents.
Quelques habitants ont prêté main forte aux militaires pour cette mission. Le première classe Matui, enginiste au 31e RG, met du cœur à l’ouvrage. Cela fait deux ans qu’il a quitté Tahiti, son île natale, pour servir sous les drapeaux. Travailler avec d’autres ultramarins lui permet de se reconnecter à ses racines.
« Au-delà de revoir des paysages familiers, je suis heureux d’apporter ma contribution. Dans le Pacifique nous sommes tous solidaires car n’importe quelle île peut être touchée par ces catastrophes naturelles », confie-t-il. En marge de l’exercice, d’autres travaux ont été réalisés au profit des insulaires. Une antenne relais a été acheminée par hélicoptère Puma jusqu’à Alofi pour y être installée.
Quant à Wallis, un détachement du régiment du service militaire adapté de Nouvelle-Calédonie a procédé à la réfection du chemin de pèlerinage d’Ha’afuasia. Cette réhabilitation d’accès a été demandé par le roi coutumier de Wallis. Conscient de l’importance de cette requête, l’adjudant Kilisitofo, chef de section métiers des travaux publics du RSMA privilégie un coulage de béton fibré sans ferraillage.
Par expérience, il sait qu’un bétonnage classique ne tiendra pas longtemps sous les déluges de pluie fréquents dans la région. Il commande une équipe de vingt jeunes accompagnés de leurs instructeurs.
« Pour eux, c’est tangible. Ils appliquent ce qu’ils ont appris et concrétisent leur formation avec un projet porteur de sens. » soutient Kilisitofo. L’émotion se lit dans sa voix lorsqu'il évoque son retour sur son île natale, quittée à l’âge de huit ans. « Après tout ce temps, je suis heureux de pouvoir aider au développement de ma communauté », exprime-t-il dans un accent mélodieux.
« Sauver un maximum de vies »
L’effervescence habituelle du lycée professionnel agricole de Vaimoana est d’une tout autre nature en cette matinée du 28 avril. L’hôpital n’est plus en mesure d’accueillir des patients. L’antenne médicale improvisée dans l’établissement scolaire prend le relais et doit absorber un afflux important de blessés.
L’objectif ? Éprouver et évaluer le dispositif médical multinational australien, américain et français. Membre amputé, hémorragie massive, pneumothorax compressif… Dans la zone alpha, l’équipe de la capitaine Acanthe prend en charge les cas les plus critiques. L’occasion de démontrer tout leur savoir-faire dans des conditions extrêmes et dans un environnement où il faut jongler avec les langues et les protocoles.
« Nos procédures médicales diffèrent mais on tend tous vers un même but. Sauver un maximum de vies », affirme la capitaine. Au-delà des traumatismes, le personnel soignant anticipe aussi les vagues de pathologies chroniques aggravées par l’absence de soins adaptés. Si l’antenne a une capacité d’accueil d’une trentaine de patients, l’effort se concentre sur un triage strict en vue des évacuations par voie aérienne ou maritime.
« La bienveillance à chaque étape »
« Mesdames, messieurs, je vous demande de rester calmes et coopératifs. Vous allez être évacués pour votre sécurité… » Deux jours plus tard, la quatrième phase clôture l’exercice Croix du Sud. Par bus et sous escorte militaire, 140 ressortissants, joués par des jeunes des classes Défense, rejoignent le Centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants.
Il a été installé dans le collège Mataotama à 500 mètres de l'aéroport. De l’escorte des groupes jusqu’à la protection du site, la sécurité est assurée par les hommes de la 13e Demi-brigade de la Légion étrangère. Derrière la fluidité apparente du processus, une mécanique bien huilée : tri à l’entrée via les listes consulaires, fouilles encadrées par les gendarmes, recueil des informations, soutien médical, enregistrement puis orientation vers le vecteur d’évacuation.
Le module responsable de l'accueil des ressortissants avant leur évacuation est renforcé par des éléments spécialisés australiens, américains et britanniques apportant chacun leurs compétences dans ce domaine où la logistique se mêle à l’humain. « Les gens quittent parfois tout ce qu’ils ont. Ici on prend le temps de les écouter. La bienveillance est présente à chaque étape du parcours », assure la capitaine Annie, chef du module.
Un mot d’ordre qui fait la force discrète de cette opération. Les militaires sont allés à la rencontre des Français de Wallis-et- Futuna pour expliquer leurs missions tout en les assurant de leur protection en toutes circonstances.
Ces dix jours d’entraînement ont ainsi illustré notre solidarité avec nos partenaires en Indopacifique lors de la gestion d'une crise humanitaire. Dans cette région du monde en proie aux changements climatiques, les unités sont prêtes à intervenir pour protéger les Français.